AnTi-MoNDiALiSaTiON
Le monde n'est pas à vendre...
<<<(((xxx)))>>>
Des
black blocs pas vraiment sans Gênes...
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Sommaire
:
-
Intro
- Contexte : Blindés, frontières
fermées, armée dans les rues
Voilà
la Démocratie ! par Eleonora, juillet 2001.
- Communiqués : Déclaration d'activistes
du black bloc, juillet 2001.
Communiqué d'un groupe affinitaire actif au sein d'un black
bloc lors de la journée d'actions et de la manifestation
des 20 et 21 juillet 2001 à Gênes, août 2001.
-Témoignage : Lettre de l'intérieur
du black bloc par Mary Black, juillet 2001.
-Critique du mouvement "anti-mondialisation"
: Gênes : lutte de classe ou marché du militantisme
? par P.R.O.L., septembre 2001.
-Bibliographie
-Glossaire
Intro...
 |
_ |
Les
manifestations de Gênes de juillet 2001 semblent marquer
une espèce d'apogée dans la série des
contre-sommets "anti-mondialisation". Avant, la
référence, c'était Seattle (fin novembre
1999). Mais à Gênes, il y a eu encore plus de
monde dans les rues, encore plus de dégâts matériels
dans la ville, encore plus d'affrontements entre policiers
et manifestant-e-s, encore plus de blessé-e-s, encore
plus de répression, un manifestant tué par balles
Les médias institutionnels, "publics" ou
"privés", comme les médias "de
gauche" (y compris Charlie hebdo ou Le Monde Diplomatique),
ont déversé des tonnes et des tonnes de mensonges
et d'absurdités relatives à ce qui s'est passé
à Gênes. |
C'est
une habitude pour les uns comme pour les autres, lorsqu'ils sont
"dépassés par les événements".
Bien sûr, les émeutier-e-s, en particulier celles
et ceux regroupé-e-s au sein des black blocs, en ont fait
les frais. Sur les black blocs, il s'est dit et écrit un
peu tout et n'importe quoi. Mais jamais, ou quasiment jamais,
la parole des personnes investies dans ces black blocs n'a été
prise en compte. Laisser s'exprimer les ennemi-e-s du système
en place ? Pourquoi ne pas leur donner les armes en main (les
médias, entre autres) pour les aider à révolutionner
le monde ? Et puis quoi encore ?
Parce
que les propos tenus au sujet des black blocs se résument
pour la plupart à des rumeurs et des bruits de couloir,
parce que nous n'avons pratiquement pas pu lire ou entendre ce
que des individu-e-s directement investi-e-s dans ces groupes
avaient à dire, j'ai choisi de proposer leurs textes dans
cette brochure. Car en cherchant bien, plusieurs d'entre elles/eux
avaient beaucoup à dire, à revendiquer et à
assumer. L'anonymat qu'elles/ils s'imposent ne signifie pas qu'elles/ils
n'aient rien à dire.
Le premier texte permet de se replonger dans le contexte gênois
du sommet du G8. Une situation de guerre, d'état de siège.
Je n'ai trouvé que deux textes collectifs issus des black
blocs actifs à Gênes. Ces textes ne sont pas représentatifs
de la totalité des individu-e-s qui s'y sont investi-e-s,
mais permettent tout de même d'avoir plus qu'un aperçu
des idées qui s'y développent, de la façon
de voir les choses d'une partie des membres des black blocs.
Si l'un des deux textes collectifs des black blocs aborde explicitement
la question de l'implication des femmes dans les black blocs,
l'invisibilisation générale de la participation
des femmes aux émeutes reste une habitude. Il me semble
donc d'autant plus important de présenter le texte de Mary
Black, une habituée des black blocs en Amérique
du Nord.
Le texte "Gênes : lutte de classe ou marché
du militantisme ?" se veut clairement critique vis-à-vis
du mouvement "anti-mondialisation" dans son ensemble
et (re)pose entre autres la question de l'utilité, du rôle
et de la pertinence politique des contre-sommets.
Enfin, bien d'autres textes ont été écrits
suite à Gênes, notamment des récits de l'intérieur
des manifs et des émeutes parfois très instructifs.
Pour des questions de place (et aussi parce que la plupart de
ces textes ont déjà été publiés),
ces textes sont répertoriés en fin de brochure dans
une bibliographie sélective. Un glossaire est également
proposé en fin de brochure pour une partie du vocabulaire
politique ou inhabituel employé et tous les mots à
initiales
Si
les textes publiés dans cette brochure posent des questions,
ils apportent aussi des réponses, ou au moins des éléments
de réponses, parfois contradictoires, souvent complémentaires.
Il nous permettent notamment de "détabouiser"
la question de la violence, de la sortir des éternels lieux
communs dont on nous a une fois de plus abreuvé-e-s. Gardons
toujours en tête que malgré leurs discours "démocratiques"
et moralistes, ceux qui ont le pouvoir ne sont jamais opposés
à la violence. S'ils le sont, c'est qu'elle est utilisée
par d'autres qu'eux, contre eux. Leur principale préoccupation
est de conserver le monopole de la violence, pas de l'éradiquer.
Il n'y a jamais eu autant d'armes dans le monde que de nos jours.
Bien sur, ces armes ne sont majoritairement pas dans n'importe
quelles mains. Aux mains de l'Etat, la force s'appelle droit ;
aux mains de l'individu-e, elle se nomme crime.
Ces
textes nous permettent aussi d'éviter la spectacularisation
de l'émeute, de constater comme le vécu de l'émeute
peut être loin de sa représentation. Lire les mots
de celles et ceux qui ont pris part directement aux actes des
black blocs, c'est le meilleur moyen de sortir des mystifications
qui les entourent.
Ceci dit, je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas
ici de "justifier" les émeutes de Gênes.
La parole est donnée ici à des participant-e-s aux
black blocs parce qu'elles/ils démentent formellement ou
implicitement ce qui s'est dit à leur sujet. En ces temps
d'inertie et de soumission, la révolte porte en elle une
valeur sociale très importante, parlante et enthousiasmante
L'émeute matérialise l'envie ou le désir
d'en finir avec des conditions de vie aliénantes, elle
rend visible (y compris à qui refuse de le voir) le fait
que l'ordre établi et ses forces directement palpables
(la police et l'armée) sont des obstacles à l'émancipation
sociale. Une révolution ne se fait pas toute seule (et
même nombreuses, des émeutes ne peuvent pas suffire,
elles doivent être accompagnées de questionnements
permanents sur notre quotidien) : réfléchissons,
agissons.
Bonne lecture,
Zanzara
athée, novembre 2001
NB
: La féminisation ou non des textes de cette brochure est
déterminée par les auteur-e-s, ou par les traductrices/eurs
(pour les textes traduits de l'anglais).
Le glossaire donne des définitions très basiques
et sans parti pris (si tant est que ce soit possible), faites
fonctionner votre esprit critique, comme toujours
^
Blindés,
frontières fermées, armée dans les rues
Voilà la Démocratie !!!
.....Gares fermées, trafic
maritime détourné vers les villes voisines, aéroport
militarisé, circulation autoroutière en accordéon,
SDF et immigrés chassés du centre-ville, policiers
et soldats à chaque coin de rue
Non ce n'est pas l'incipit d'un roman de guerre, ce n'est pas
la première scène d'un de ces films catastrophes
en vogue il y a quelques années et ce ne sont pas non plus
les mots d'un ancien qui évoque les difficiles années
40. Nous sommes dans la Ligurie des vacances à la plage,
à un pas des parasols.
Nous sommes à Gênes et nous sommes en juillet 2001.
Nous sommes en pleine démocratie !
.....Des policiers et des soldats
surveillent les rues, effectuent des contrôles minutieux,
des perquisitions dans les maisons et les voitures, imposent des
feuilles de route aux indésirables, tandis que les tireurs
d'élite prennent position sur les toits et que les Renseignements
font le tour des hôtels.
Non, nous ne sommes pas dans un policier à l'américaine,
même si c'est pour l'arrivée de 8 gangsters internationaux
qu'ont été prises ces mesures " ordinaires
" de sécurité.
.....Nous sommes en Italie et nous
sommes en juillet 2001.
.....Nous sommes en pleine démocratie
!
.....Frontières bloquées,
personnes refoulées, prisons vidées et magistrats
prêts pour les extras. Non il n'y a pas eu de coup d'Etat
militaire, nous ne sommes pas dans un régime totalitaire
ou dans un film dystopique sur un avenir de cauchemar.
.....Nous sommes en Europe et nous
sommes en juillet 2001.
.....Nous sommes en pleine démocratie
!
.....Certains prétendent démocratiser
la globalisation, démocratiser les FMI, BM, OMC, G8, mais
ne s'aperçoivent-ils pas que ceux-ci sont pleinement démocratiques
? Ce que nous voyons à l'uvre à Gênes
est la démocratie réelle, pas la démocratie
en toc revendiquée par les bonnes âmes de la gauche
pleine de bons sentiments. La démocratie, système
raffiné de reproduction des élites, qualifie de
" pluraliste " seulement les voix en accord avec le
statu quo, mais réprime toujours sans trop de formalités
ceux qui chantent en dehors du chur.
.....La
démocratie accomplit aujourd'hui comme toujours son devoir
: garantir la liberté
de circulation des capitaux,
d'exploitation brutale du travail, de destruction de l'environnement,
de sauvegarde des puissants et de leurs sommets.
.....Les
libertés démocratiques sont comme l'heure de promenade
dans les prisons : une pause encadrée dans une forêt
de barreaux, les barreaux qui quotidiennement nous séparent
de ceux qui, avec le bâton et la carotte, défendent
leurs privilèges, leur pouvoir de décider pour tous
d'un avenir toujours plus sombre.
Ceux qui parlent de " dénaturation " de la démocratie,
qui en appellent aux constitutions et aux textes ne voient pas
que ces constitutions et ces textes sont ceux qui garantissent
un navire de luxe à Bush et associés, pendant que
le long de nos côtes, sur les plages envahies de baigneurs,
se présentent des cargos remplis de désespérés,
sans droits, sans papiers, sans liberté.
.....A
chaque coin de la planète depuis l'instauration des régimes
démocratiques, prisons, répression, matraques, et
coups de feu ont été la réponse démocratique
aux demandes de justice sociale, d'égal accès aux
ressources, de pleine liberté d'expression et de développement
individuel.
Ceux qui parlent de démocratie " trahie " ne
voient pas que les nombreux textes de droit ne sont que de belles
paroles dont on fait étalage pendant les cérémonies
officielles et qui sont réduits en lambeaux quand les places
et les rues se remplissent de gens convaincus que la liberté
n'est pas seulement une expression rituelle, mais le principe
d'une organisation sociale plus juste pour tous et pour chacun,
humus fertile dans lequel germeront les graines d'un monde nouveau.
Le monde que nous voulons et pour lequel nous descendons dans
la rue ne tire pas sa légitimité de textes et de
traités mais tire sa force d'une capacité d'autogestion
et d'autonomie. Sans barrières, sans frontières,
sans Etats. Un monde où l'on vivrait solidairement, non
un territoire à contrôler, à saccager, à
asservir aux intérêts d'une minorité. Une
utopie bien plus concrète que celle qui prétend
conjuguer liberté et démocratie.
Eleonora
Extrait
du journal de la Fédération Anarchiste italienne
Umanità Nova, anno 81, n° 27, 22 juillet 2001 (traduit
par Thierry, groupe La Commune - Fédération Anarchiste
de Rennes).
Déclaration
d'activistes du Black Bloc...
.....Nous parlons au nom d'une partie
du black bloc. Nous ne voulons pas nous soumettre en vain à
la politique des puissants. Nous sommes venu-e-s pour entrer de
façon militante dans la zone rouge et stopper la réunion
du G8.
Hier, la police a agi brutalement contre les manifestant-e-s.
Des manifestant-e-s ont été frappé-e-s, attaqué-e-s
avec des lacrymos et des balles, emprisonné-e-s et torturé-e-s.
La brutalité de la police a atteint son sommet avec le
meurtre d'un manifestant.
Pour l'opinion publique, le black bloc a été rendu
responsable de toute cette violence.
.....Jour après jour, l'ordre
du monde capitaliste produit diverses sortes de violence. Pauvreté,
faim, expulsions, exclusion, la mort de millions de personnes
et la destruction d'espaces vivants font partie de sa politique.
C'est exactement ce que nous rejetons.
La casse de vitrines de banques et de multinationales sont des
actions symboliques. Néanmoins, nous ne sommes pas d'accord
avec la destruction et le pillage de petits magasins et de petites
voitures. Ce n'est pas dans nos pratiques.
.....Cependant, nous ne nous laisserons
pas diviser. Diviser la résistance est le moyen habituel
pour l'affaiblir. Nous apprécions les critiques constructives
et comptons sur elles.
.....Nous sommes en colère
et tristes au sujet de la mort de Carlo Giuliani. Transformons
notre chagrin et notre colère en résistance.
Si des vitrines tremblent, vous pleurez, mais vous restez silencieux
quand des gens meurent. L'histoire ne s'achève jamais.
Vive la révolution !
Gênes, 21 juillet 2001,
Des
participant-e-s au Black Bloc - [Traduit de l'anglais par Zanzara
athée]
^
Communiqué
d'un groupe affinitaire actif au sein du black bloc lors de la
journée d'actions et de la manifestation des 20 et 21 juillet
2001 à Gênes...
Pourquoi
étions-nous à Gênes ?
-
Pour mettre en pratique massivement notre contestation d'un monde
que nous refusons dans sa totalité (le monde de toutes
les dominations, de toutes les oppressions, de toutes les exploitations).
Qu'avons
nous fait à Gênes ?
-
Nous nous sommes attaquéEs à ce qui faisait partie
intégrante de la bonne marche des dominations étatiques,
capitalistes et patriarcales : banques, agences immobilières,
concessionnaires automobiles, stations essence, agences de voyages,
panneaux publicitaires (en particulier, mais pas seulement, ceux
utilisant le corps des femmes comme des vecteurs de marchandisation),
etc.
-
Nous avons ici et là empêché la police de
prendre le dessus sur les manifestantEs, de façon à
ce que les rues soient nôtres, soient celles de la subversion,
le plus longtemps possible au cours de ces journées.
Que
voulons nous ?
-
Nous pensons que la mise en place d'une société
dans laquelle chacunE aurait le pouvoir de diriger sa propre vie
comme il/elle l'entend (ou en tout cas, une société
qui le permette, une société sans hiérarchie,
une société qui soit vecteur d'émancipation
collective et individuelle) n'est pas envisageable sans la destruction
complète des oppressions qui sont à la base des
sociétés patriarcales et capitalistes occidentales.
Si nous avons conscience que casser des vitrines, brûler
des banques, même pour plus de cent millions de francs français
de dégâts, ne révolutionnera pas le monde,
nous pensons que c'est un moyen concret de déstabilisation
des pouvoirs en place, et nous espérons également
que cela puisse être la démonstration d'une colère
qui doit se généraliser si nous voulons un jour
ou l'autre vivre pleinement nos idées.
-
Nous ne cherchons pas à trouver une place au sein des discussions
entre les maîtres du monde, nous voulons qu'il n'y ait plus
de maîtres du monde. Nous ne reconnaissons aucune légitimité
aux protagonistes du G8, comme nous n'en reconnaissons aucune
à ceux de l'Union Européenne, de l'OMC, du FMI,
de la Banque Mondiale, etc. Les chefs d'Etats ou de multinationales
sont les plus hauts responsables de la dépossession de
notre propre pouvoir sur nos vies. Ce n'est pas avec eux que l'on
doit discuter de nos envies et de nos désirs puisqu'ils
représentent des remparts à ceux-ci.
-
Nous ne voulons pas une amélioration du système
politique, social et économique en place, nous voulons
son remplacement par un ou des systèmes de vie collective
autogérés, au sein desquels chacunE a son mot à
dire, dans lesquels l'entraide est le but (et non la concurrence).
A notre avis, les propositions de réformes du système
capitaliste mondial ne sont que de naïves illusions qui permettent
à celui-ci de perdurer grâce à quelques semblants
de "démocratie". Concrètement, les réformes
proposées par quelques groupes politiques et/ou associatifs
(taxe Tobin, revenu garanti, etc.) ne changent rien aux rapports
sociaux actuels et ne font qu'accroître la soumission massive
des populations aux pouvoirs politiques.
^
Ce
que nos détracteurs ont tout intérêt à
faire croire...
-
Que nous sommes des irresponsables haineux-haineuses venuEs sans
aucun autre objectif que "tout casser". Que nous ne
sommes que des jeunes hommes en manque d'émotions fortes,
de décharges d'adrénaline, etc...
.....Nous pourrions nous contenter
de répondre qu'il y avait une présence importante
de femmes dans les black blocs, mais là n'est pas vraiment
le propos : au sommet du G8, il n'y avait pas beaucoup de femmes
et personne n'a semblé s'en plaindre. Le propos de telles
critiques est de sous-entendre qu'en dehors de la destruction
de biens matériels nous n'avons rien à proposer.
Pourtant, en tant que groupe d'action au sein d'un black bloc,
nous avons exprimé de nombreuses idées à
l'aide de bombes de peintures sur les murs de la ville, et nous
en avons lu énormément, écrites par d'autres
: anarchie, autonomie ouvrière, lutte des classes, autogestion,
refus du capitalisme, des banques, des frontières et des
Etats, du patriarcat, du sexisme, de la marchandisation des femmes,
de l'homophobie et de la lesbophobie, pour la libération
animale, les squats, la libération de la Palestine, l'action
directe, slogans "straight edge" (refus de l'alcool,
du tabac et de toutes autres drogues), etc...
.....Lors de ces journées
émeutières, au sein de notre groupe d'affinité,
nous avons voulu fonctionner sur un mode égalitaire. Les
médias, comme les grandes organisations pacifistes, nous
disent "casseurs aux méthodes masculines ou militaires".
Curieusement, il y avait dans notre groupe affinitaire plus de
femmes que d'hommes, et nous ne pourrions dire qui aurait pu faire
office de Général... Même si beaucoup de décisions
avaient à être prises rapidement, nous avons tenté
d'écouter la voix de touTEs, en particulier de celles et
ceux qui se sentaient le moins rassuréEs. Quant au discours
pseudo-féministe tentant de nous convaincre que la "casse"
est une affaire d'hommes, que veut-il dire exactement ? Que la
manière non-violente d'utiliser son corps est bien plus
cohérente pour des antisexistes ? Etre passive et victime,
douce et modérée, sont pourtant des clichés
féminins contre lesquels beaucoup de femmes se battent
depuis très longtemps. En tant qu'oppriméEs, notre
moyen de lutter n'est pas de nous noyer encore plus dans notre
misère et d'adopter un discours misérabiliste qui
attendrira éventuellement l'opinion publique pendant une
semaine.
.....Si nous avions des raisons politiques
bien précises de pratiquer la destruction de biens matériels,
nous ne cacherons pas que briser directement les obstacles quotidiens
à notre bien-être est un sentiment jouissif. Nous
n'attendons pas le Grand soir ; nous voulons dépasser les
plaisirs normés et les peurs que ce vieux monde nous impose,
et c'est bien parce que nous vivons dans un monde monotone et
effrayant, composé de devoirs, de "droits", de
supermarchés et de flics, que le détruire se doit
d'être jouissif. La destruction de biens matériels
est la démonstration en actes qu'il y a des problèmes
politiques et sociaux. De toute façon, la "casse"
est pour nous une tactique réfléchie et adaptée
à la situation, elle va bien au-delà du "défouloir
pour violents". Les objets, vitrines, enseignes cassés
ne sont pas pris au hasard. Ils sont ciblés en fonction
de l'impact qu'ils ont sur notre vie quotidienne. Nous les détruisons
parce qu'ils sont parmi les atouts de nos sociétés
"spectaculaires marchandes", parce qu'ils représentent
notre propre destruction.
^
-
Que nous avons été manipuléEs, par des forces
politiques "au-dessus" de nous, notamment par la police.
Que nous avons été infiltréEs par la police.
.....Ce que nous avons fait à
Gênes, nous avions prévu de le faire. Et manifestement,
comme prévu, la police ne nous a pas aidé. Dès
qu'elle en avait la possibilité, la police s'attaquait
violemment aux black blocs. C'est grâce à des réactions
tactiques, stratégiques, que nous avons pu éviter
de nous faire massacrer (solidarité de groupe, jets d'objets
sur la police, barricades, mobilité et mouvements de foule,
etc.). Nous ne nions pas la possibilité que des policiers
"déguisés" se soient infiltrés
dans certains black blocs. Il semblerait logique qu'il y ait eu
des policiers infiltrés dans tous les cortèges.
Certains, par exemple, se faisaient passer pour des journalistes
ou des ambulanciers. C'est un moyen de contrôle bien connu
pour identifier et étudier les manifestantEs et leurs agissements.
Par rapport à cela, notre but est bien évidemment
de les repérer et de les faire dégager.
.....A Gênes, nous avions prévu
de nous attaquer à des bâtiments représentant
diverses formes de pouvoir. Nous nous sommes exécutéEs
avant que de quelconques provocations policières puissent
avoir lieu. Nous l'assumons entièrement et tenons à
faire remarquer que si la police a bien évidemment participé
directement aux violences de ces deux jours, c'est en s'attaquant
aux manifestantEs, de toutes parts. La violence policière
s'est exprimée massivement sur quelques km2 à Gênes,
de la même manière qu'elle le fait quotidiennement
partout ailleurs. Pas besoin de manifester contre le sommet du
G8 pour ça.
-
Que les black blocs, "une minorité de manifestantEs",
ont gâché la fête.
.....Le but des manifestantEs était,
pour la quasi-totalité, de rentrer dans la zone rouge,
de perturber le sommet du G8. Nous avons à notre façon
perturbé le sommet du G8. A Gênes, les maîtres
du monde voulaient être tranquilles. Vingt mille policiers
devaient leur assurer la paix sociale. Cela n'a pas fonctionné
du tout puisque ces milliers de sbires n'ont pu s'empêcher
de tuer une personne, d'en blesser plus de six cents, d'en arrêter
et d'en torturer des centaines... Diaboliser les black blocs est
très utile pour certains partis et organisations politiques,
qui par contre coup sont les seuls détenteurs d'une légitimité
à manifester. Mais la division manichéenne des manifestantEs
en "gentilLEs pacifistes" et en "méchantEs
casseurs et casseuses" ne peut que faire le jeu du pouvoir,
qui n'a pourtant pas fait de détail quand il s'est agi
de réprimer le plus brutalement possible. Cette division
est d'autant plus incohérente lorsqu'elle provient de personnes
dites de gauche, qui soutiennent certaines luttes armées
comme celle au Chiapas. Est-ce que c'est parce que nous, occidentaux
et occidentales, nous souffrons moins du capitalisme que d'autres
et que certaines femmes sont moins ouvertement opprimées,
que notre tentative d'ébrécher le système
est moins légitime ?
.....D'autre part, nous tenons à
rappeler que plusieurs milliers de manifestantEs ont pris part
à la destruction de biens matériels et aux affrontements
avec la police, que ce soit de façon préméditée
ou spontanée. Il ne s'agit pas d'une "minorité"
de personnes, pas plus en tout cas que les autres cortèges
n'étaient des "minorités", chaque groupe
ayant sa manière d'agir.
.....Enfin, Bush a reproché
aux manifestantEs de prétendre représenter les pauvres.
Pour ce qui nous concerne, qu'il se rassure, nous ne représentons
que nous-mêmes. Mais c'est déjà énorme,
et plus nous serons nombreux et nombreuses à parler et
à agir contre ce vieux monde, plus Bush aura de raisons
de trembler au fond de sa Maison blanche... La révolte
contre ce monde n'est pas minoritaire, encore moins anecdotique,
elle s'exprime partout à travers le monde, dans les écoles,
les cités, les rues, etc.
(Rédigé début août 2001)
^
Lettre
de l'intérieur du black bloc...
.....Je cours aussi vite que mes
poumons asthmatiques me le permettent, au milieu de la cohue.
Mon ami et moi nous tenons la main pour qu'on ne se perde pas
de vue, mais je suis un peu à la traîne. Il tient
une bien meilleure forme que moi, et il serait sûrement
déjà loin des lacrymos si je ne le ralentissais
pas.
.....Un groupe de flics anti-émeute
se rapproche et je lâche la main de mon ami, pour qu'au
moins l'un de nous puisse s'échapper. Il file vers une
rue adjacente. Je suis petite, et seule maintenant, les flics
me remarquent beaucoup moins. Je lève les mains, signe
que je me rends, et laisse les flics me pousser là où
ils nous mènent touTEs - émeutierEs vêtuEs
de noir tout autant que manifestantEs "conventionnelLEs"
-, au bout d'une impasse.
.....Il n'y a sûrement aucune
issue, c'est un piège, mais le nuage de lacrymo est trop
épais, ici, pour que je résiste. Je tâtonne,
je cherche mon masque à gaz, mais je vais là où
on me dit d'aller. Je me rends compte que certaines personnes
avec lesquelles j'ai manifesté sont mises de côté
par les keufs et jetées au sol. Des manifestantEs essayent
de les arracher des mains de la police. Un mec est délivré
des flics et se met à courir ; il s'en sort, mais l'ami
avec lequel je suis venu est arrêté. La dernière
fois que je le vois, ce jour là, il est allongé
à plat ventre sur le goudron, deux énormes flics
en civil accroupis sur lui. Comme la plupart des gens autour de
moi, je fuis.
Nous
battons en retraite, mais juste autant que nécessaire.
Et dans quelques minutes, nous retrouverons notre cortège
et avancerons de nouveau sur la zone déclarée interdite
par la police ; interdite à touTEs, sauf à un petit
groupe composé majoritairement d'hommes blancs, extrêmement
riches, extrêmement puissants.
.....Si des expressions comme "avancer
sur" ont une consonance militariste, c'est peut-être
parce que je fais partie d'un groupe qui a au moins des apparences
paramilitaires. Nous sommes vêtuEs d'une espèce d'uniforme
et paraissons volontairement menaçantEs : bandanas noirs,
pantalons de treillis noirs plus ou moins en loques, sweats à
capuche noirs (avec les patches à slogan optionnels), et
chaussures du style docs noires (ou pour les veganNEs, des Converse
noires délabrées).
.....Je fais partie du "black
bloc", un groupe international d'individuEs plus ou moins
proches. Nous ne représentons aucun parti, et il ne faut
pas cotiser ou participer à des réunions pour nous
rejoindre. Nous apparaissons lors de toutes sortes de manifestations,
des actions pour la libération de Mumia Abu-Jamal jusqu'aux
manifestations contre les sanctions infligées à
l'Irak, et lors de tous les sommets internationaux d'institutions
financières et politiques comme l'OMC ou le G8. Même
si la plupart des anarchistes ne se camoufleraient pas le visage
avec des foulards noirs ou ne briseraient pas les vitrines des
Mc Donald's, dans les black blocs nous sommes presque touTEs anarchistes.
.....La plupart des personnes que
je connais au sein des black blocs travaillent dans une logique
"non-profit", dans des milieux associatifs. CertainEs
sont profEs, syndicalistes ou étudiantEs. CertainEs n'ont
pas de boulot à plein temps, mais passent beaucoup de temps
à essayer de changer la vie localement. Elles/ils lancent
des projets de jardins collectifs, d'ateliers-vélos ou
de bibliothèques. Elles-ils cuisinent pour des groupes
comme Food Not Bombs. Ce sont des personnes réfléchies
qui, si elles n'avaient pas des idées et des occupations
politiques et sociales si radicales, pourraient être comparées
à des religieux/ses, ou disons, à des personnes
qui en général cherchent à rendre service...
^
.....Il y a tout de même beaucoup
de différences entre nous, notamment au niveau politique.
J'ai connu dans les black blocs des personnes qui venaient de
Mexico et d'autres de Montréal. Je pense que le stéréotype
qui veut que l'on soit majoritairement jeunes et blancHEs est
recevable, mais je ne suis pas d'accord pour dire que nous sommes
surtout des hommes. Evidemment, quand je m'habille avec de larges
habits noirs, et que mon visage est dissmulé, beaucoup
pensent que je suis un garçon. Le comportement des black
blocs n'est pas assimilé à celui de femmes, les
journalistes présument donc souvent que nous ne sommes
que des gars.
.....Les
personnes qui se joignent au black bloc peuvent manifester avec
le reste du groupe, mettant en valeur notre solidarité
et apportant une visibilité aux anarchistes ; nous pouvons
réveiller l'ambiance de la manif, intensifier l'atmosphère
pour encourager les autres à exiger bien plus que de simples
réformes de ce système pourri. Bomber des messages
politiques sur le murs, détruire la propriété
de grandes entreprises et créer des barricades avec du
matériel trouvé sur le chemin font partie des tactiques
habituelles des black blocs.
.....Les
black blocs sont un phénomène assez récent,
peut-être vu aux Etats-Unis pour la première fois
au début des années 1990, inspiré des tactiques
protestataires allemandes des années 1980. Les black blocs
peuvent être en partie une réponse à l'énorme
répression du FBI durant les années 1960,70 et 80,
à l'encontre des groupes activistes. Il est quasi impossible,
aujourd'hui, de créer un groupe d'activistes radicales
et radicaux, sans craindre l'infiltration de la police. Pour beaucoup,
mener l'action directe dans les rues avec très peu de préparation,
et uniquement avec un petit cercle d'amiEs, semble être
une des seules formes possibles de contestation pratique.
..... Même
s'il n'y a pas de consensus clair entre nous sur nos idées
politiques, je pense pouvoir avancer quelques idées communes
à touTEs. La première est la philosophie anarchiste
de base ; nous ne voulons ni ne nécessitons de gouvernements
et de lois pour décider de nos vies. Au lieu de ça,
nous imaginons une société de vraie liberté
pour touTEs, où le travail comme le jeu seraient partagés
par touTEs, et où les rapports seraient basés sur
l'entraide. Au-delà de cette vision d'une société
idéale, nous pensons que l'espace public est pour tout
le monde. Nous devrions avoir le droit d'aller où nous
voulons, quand nous voulons, et aucun gouvernement ne devrait
décider de nos mouvements, surtout lorsqu'il s'agit d'avoir
des sommets secrets comme ceux de l'OMC, qui prennent des décisions
qui influent sur la vie de millions de personnes.
..... Nous
pensons que détruire les propriétés de multinationales
comme The Gap, qui oppriment et exploitent, est légitime
et utile. Nous considérons qu'il est légitime de
se défendre quand nous sommes physiquement misES en danger
par des lacrymogènes, matraques, armes de service et autres
technologies policières. Nous rejetons entièrement
l'idée que la police soit autorisée à contrôler
chacun de nos actes. Lorsqu'on observe les cas de Rodney King,
Amadu Dialo, Abner Ruima, le scandale des Ramparts à Los
Angeles et des Riders à Oakland, on peut conclure que les
abus de la police ne sont pas seulement endémiques, mais
permanents.
..... Nous
vivons dans une société raciste, homophobe et sexiste,
et tant que cela fera partie du système, cela existera
à l'intérieur de son bras armé, la police.
D'un point de vue plus large, notre société permet
à quelques unEs de contrôler ce que d'autres font.
Ceci crée un pouvoir inégalitaire qui ne peut être
remédié par des réformes de la police. Le
problème n'est pas seulement que les policiers abusent
de leurs pouvoirs, nous pensons que c'est l'existence de la police
qui est un abus de pouvoir. La plupart d'entre nous pensons que
les flics sont de trop sur nos chemins et dans nos actions, et
que nous avons de fait le droit de nous confronter à eux
directement. CertainEs d'entre nous incluent la possibilité
d'attaquer physiquement les flics. Je tiens à souligner
que ce point est controversé même au sein du black
bloc, mais explique aussi que nous sommes beaucoup à envisager
la lutte armée pour la révolution, et que dans ce
contexte, attaquer la police ne semble pas déplacé.
^
.....Il y a eu des heures de débats,
autant dans les médias conventionnels que dans ceux de
gauche, sur les black blocs. La majorité des médias
s'accorde à dire que le black bloc, c'est mal. Le consensus
des médias conventionnels est de nous dire méchantEs
et extrêmement dangeureux/ses. Les médias progressistes
trouvent, en général, que nous sommes mauvaisES,
mais qu'au moins, nous sommes peu nombreux/ses. Tout le monde
semble nous trouver violentEs. La violence est un concept ambigu.
Je ne sais pas vraiment quelles actions sont violentes et lesquelles
ne le sont pas. Et quand peut-on considérer un acte violent
comme un acte de légitime défense ? Je trouve que
définir le bris d'une vitrine d'un magasin Nike comme étant
violent enlève du sens au mot. Nike fabrique des chaussures
avec des produits chimiques toxiques dans des pays pauvres, en
exploitant la main d'uvre locale. Puis il vendent ces chaussures
à des prix élevés à des jeunes noirEs
pauvres vivant en Occident. Pour moi, ils pillent les ressources
des communautés pauvres, au Nord comme au Sud, accentuant
la misère et la souffrance partout. Je pense que la misère
et la souffrance pourraient être considérées
comme violentes, ou tout au moins comme déclencheurs de
violence.
.....Quelle
violence causons-nous lorsque nous brisons une vitrine de magasin
Nike ? Du bruit, c'est peut-être ce qui est pris pour violent.
Du verre brisé, ce qui peut blesser des gens, mais ce sont
souvent uniquement des membres du black bloc qui entourent ces
vitrines, et celles/ceux-ci ont déjà envisagé
ce risque. Cela force une multinationale multimilliardaire à
remplacer leurs vitres. Est-ce ceci qui est violent ? Il est vrai
qu'unE de leurs employéEs sous-payéEs devra nettoyer
tout ce bordel, ce qui est dommage ; mais d'un autre côté
ça fera aussi un extra pour unE vitrierE
..... En
tant que tactique de contestation, l'utilité de la destruction
de biens est peut-être limitée, mais importante.
Elle attire les médias et démontre que les multinationales
ne sont pas aussi intouchables qu'elles en ont l'air. Les personnes
qui manifestent, et celles qui regardent la télévision,
peuvent voir qu'un petit pavé dans une main peut détruire
un mur symbolique. Une vitrine détruite d'un magasin Nike
ne menace aucunE individuE, mais essaye d'exprimer que nous ne
voulons pas que Nike améliore son fonctionnement mais que
nous voulons sa destruction complète. Et je n'ai pas peur
de le dire.
..... La
plus importante plainte exprimée par la gauche au sujet
des black blocs consiste à dire que nous donnerions une
mauvaise image des manifestations. La frustration est compréhensible
pour des gens qui ont passé des mois à planifier
l'organisation des manifestations, lorsqu'elles/ils s'aperçoivent
qu'un groupe assez effrayant de jeunes gens attire toute l'attention
en mettant simplement le feu à quelques endroits. Bien
sûr, dans cette critique, manque l'évident constat
que les mass-médias ne couvrent jamais le réel contenu
des manifestations. Les manifs militantes et les actions pacifiques
de protestation sont rarement évoquées par les médias.
Même si j'aimerais que les médias rendent compte
de toutes les sortes de manifestations, et surtout de ce qui inspire
profondément et politiquement ces manifestations, je suis
aussi consciente que certaines tactiques militantes attirent l'attention
des médias.
..... J'ai
commencé à m'investir dans l'activisme pendant la
guerre du Golfe, et j'ai vite appris que beaucoup de monde dans
une manif, ça ne suffit pas toujours pour que les médias
en parlent. J'ai passé des semaines à organiser
des manifs contre la guerre. Nous étions parfois plusieurs
milliers à manifester. Mais les journaux comme les chaînes
de télévision nous ignoraient toujours. C'est devenu
complètement différent le jour où j'ai vu
quelqu'unE casser une vitrine lors d'une manifestation. Nous étions
soudainement présentEs dans toute la presse, écrite
et télévisée. Cet état d'esprit combatif
au sein des manifestations anti-mondialisation lors de ces deux
dernières années a indéniablement contribué
à hausser le niveau d'attention accordé par les
médias à la mondialisation. Et bien que le black
bloc ne soit pas l'unique raison à cela (une myriade de
stratégies créatives et innovatrices ont aidé
à apporter l'il inconstant des médias en direction
de la gauche), je pense que George Bush 2 s'est senti contraint
de s'adresser directement aux manifestantEs lors du sommet du
G8 à Gênes à cause de l'importance médiatique
que prend notre mouvement.
^
.....Une des plaintes de la gauche,
et en particulier des autres manifestantEs, à l'encontre
du black bloc, est qu'elles/ils n'aiment pas nos masques. Je me
suis fait hurler dessus par un manifestant, style flic, qui m'ordonnait
d'enlever le mien. Cette idée ne peut nous convenir. Ce
que nous faisons est illégal. Nous faisons de l'action
directe militante. Nous sommes bien conscientEs que la police
photographie et filme ces manifs, même lorsque la loi ne
le leur permet pas. Enlever nos masques signifierait nous jeter
dans la gueule du loup.
..... Les
masques servent un autre but, symbolique cette fois. Même
s'il y en a qui aiment imposer leur visions, ou se populariser
dans le milieu anarchiste, le black bloc maintient l'idée
de placer le groupe avant l'individuE. Nous accordons rarement
d'interviews à la presse (et celles/ceux d'entre nous qui
le font sont généralement désapprouvéEs
ou considéréEs avec suspicion). Nous fonctionnons
en groupe car la masse procure la sécurité et permet
d'accomplir plus que des actes isolés. Par ailleurs, nous
ne voulons pas que ce combat profite à unE individuE plus
qu'à unE autre. Nous ne voulons pas de stars, ni de porte-parole
Je pense que l'anonymat du black bloc est en partie une réponse
aux problèmes rencontrés lors des grandes mobilisations
pour les droits civiques, féministes, contre le nucléaire
et contre la guerre. Dépendre de leaders/leadeuses charismatiques
n'a pas seulement mené à des combats internes et
à de la hiérarchisation, mais a aussi permis à
la police et au FBI de trouver des cibles faciles, qui, tuées
ou arrêtées, laissaient les militantEs désemparéEs.
Les anarchistes refusent la hiérarchie et espèrent
créer un mouvement qui soit pour la police difficile à
infiltrer et à détruire.
..... Certaines
critiques de la gauche viennent de notre prétendue acceptation
des valeurs corrompues de notre société. On crie
au scandale quand des jeunes bougent une benne au milieu de la
route et y mettent le feu. La plupart des gens en concluent simplement
que le black bloc agit ainsi pour les émotions que cela
procure, et je ne peux pas nier que je me tape une petite montée
d'adrénaline à chaque fois que je me risque à
agir de cette manière. Mais combien d'entre nous ont réellement
mauvaise conscience lorsqu'elles/ils achètent un tee-shirt
chez The Gap, même quand nous savons que notre fric va directement
dans les caisses d'une entreprise qui exploite violemment les
travailleuses/eurs ? Pourquoi la "thérapie du shopping"
serait-elle plus acceptable que les plaisirs suscités par
des actes militants, même si ceux-ci restent limités
dans leur utilité ? Je pense que même si les actions
du black bloc ne servaient qu'à épicer la vie de
celles/ceux qui les font, elles resteraient bien meilleures que
de dépenser de l'argent au multiplexe, se bourrer la gueule,
ou d'autres formes de divertissement et de détente culturellement
acceptées.
..... J'ai
mes propres critiques de mes actes et de leur efficacité.
La destruction de biens, les bombages et l'apparence menaçante
à la télé ne suffisent évidemment
pas pour mener à une révolution. Les black blocs
ne changeront pas le monde à eux seuls. Je n'aime pas la
sensation de danger, ou au moins, je déteste imposer la
peur du danger à celles/ceux qui ne veulent pas la subir
ou ne l'attendent pas, en particulier à celles/ceux qui
physiquement peuvent difficilement échapper aux policiers.
Je déteste aussi le jargon pseudo-militaire, comme "communiqué",
"bloc" ou "camarade". Mais ce que je hais
par dessus tout, c'est me faire cracher dessus les grosses orgas,
comme l'AFL-CIO ou Global Exchange, par les torchons de gauche
comme Mother Jones, ou par la bien aimée Indymedia.org.
Même si ça n'est pas le cas pour tout le monde dans
les black blocs, je respecte les stratégies de la plupart
des autres groupes contestataires. Souvent, d'ailleurs, j'essaie
de faire en sorte que les black blocs permettent de détourner
l'attention de la police des manifestantEs non-violentEs. Et quand
ce n'est pas possible, j'essaie au moins de me tenir à
l'écart des autres manifestantEs.
..... Malgré
mes inquiétudes, je continue à croire que les actions
du black bloc valent le coup. Et lorsque je constate l'accroissement
des mobilisations et des mortelles violences policières
dans le monde (trois manifestantEs abattuEs lors d'une manif contre
l'OMC en Papouasie-Nouvelle-Guinée en juin, deux manifestantEs
tuéEs par balle lors d'une manifestation anti-mondialisation
l'année passée au Venezuela, et Carlo Giuliani,
23 ans, assassiné par la police lors du sommet du G8, à
Gênes), il me semble pour le moins ironique de considérer
mes actions comme étant violentes et dangereuses quand
même la gauche semble penser que les policiers "font
juste leur boulot".
..... Je
continuerai à protester de cette manière, et celles/ceux
qui veulent s'y mettre aussi sont les bienvenuEs. Les pavés
sont faciles à trouver et les cibles sont aussi proches
que le Mc Donald's de votre quartier.
Mary Black, 25 juillet 2001 - Traduit
de l'anglais par Couette & Zanzara athée.
Titre original : Letter from Inside the Black Bloc - Version originale
(en anglais) sur : http://www.alternet.org/story.html?StoryID=11230
^
Gênes
: lutte de classe ou marché du militantisme ?
.....A en croire certains, nous serions
à la veille de quelque chose d'important, d'hénaurme,
d'extraordinaire, une lueur d'espoir dans un monde d'obscurité
: une révolution ! Depuis quelques temps, en effet, les
sommets internationaux ou régionaux des gestionnaires du
capital-monde donnent lieu, rituellement, à de grandes
manifestations où chacun exulte sa colère contre
ce qui est appelé la mondialisation (globalisation en anglais)
; ce qui témoignerait, selon les uns, d'une reprise des
luttes radicales après une ou deux décennies d'assoupissement
de la lutte de classe (les "révolutionnaires",
les "radicaux") et, selon d'autres, d'un grand "réveil
citoyen" rassemblant tous les peuples du monde (les "réformistes",
les "sociaux-démocrates"). Or, ce mouvement anti-mondialisation
n'étant ni l'un ni l'autre, il s'agit plutôt d'en
percevoir les pièges et les limites afin de tenter d'apporter
un début de réponse à la seule question qui
importe réellement : ce mouvement s'inscrit-il dans un
processus révolutionnaire, un mouvement de classe ?
.....Le réformisme radicalo-mouvementiste
: encore, toujours, jusqu'à quand ?
.....Malgré la focalisation
des politiciens et des media sur les groupes de la mouvance autonome
et anarchiste, la "tendance lourde" (pour parler comme
les journalistes et les professeurs) du mouvement anti-mondialisation
est constituée par une multitude d'organisations réformistes
et post-staliniennes, toutes à la recherche d'un second
souffle après le fiasco historique de leur idéal
proclamé : le capitalisme bureaucratique d'Etat. A Gênes,
il suffisait de voir défiler l'interminable cortège
de partis, de syndicats, de groupuscules gauchistes et la masse
pratico-inerte de leurs petits soldats pour s'en convaincre. Après
le "mouvement social" (grèves de 95 ; sans-papiers
; chômeurs), voilà le nouveau créneau de ces
carriéristes et autres experts de la contestation intégrée
: l'antimondialisme.
.....Pour la France, cette tendance
est représentée pour l'essentiel par Attac, qui
a réussi en peu de temps à fédérer
autour de son programme citoyenniste toutes les composantes politiques
de la gauche et de l'extrême-gauche du capital, depuis les
socialistes au gouvernement de la gauche plurielle et leurs satellites
associatifs du "mouvement social" jusqu'aux partis et
groupes de jeunesse trotskistes, et obtenant la sympathie de certaines
organisations autoproclamées radicales, notamment dans
la mouvance antifasciste et parmi l'anarchisme officiel
Soyons sûrs qu'Attac, laboratoire de la néo-social-démocratie
ayant habilement intégré les concepts et les revendications
des révoltes éthiques de mai 68 et ses suites (municipalisme,
démocratie directe, autogestion, autonomie, etc.) dans
un discours démocratique, droit-de-lhommiste et progressiste
bien policé, jouera demain le même rôle politique
que son illustre ancêtre, sa grand-mère social démocrate
: l'écrasement, au nom même des travailleurs voire
de la "révolution", de tout mouvement autonome
de la classe exploitée (salariés précaires
ou stables, RMIstes, chômeurs, en "liberté"
ou en taule, avec ou sans papiers
).
.....A côté de cette
tendance dominante (dans tous les sens du terme), on retrouvait
dans les rues de Gênes une minorité agissante composée
d'anarchistes et d'autonomes (auxquels vinrent se joindre, pendant
les affrontements, des éléments de base d'autres
organisations, par exemple du syndicalisme autonome (COBAS, etc.)
ou des tute bianche, refusant la logique de négociation
et d'intégration et ayant opté pour l'utilisation
directe de la violence, soit contre la "zone rouge"
(mais une minorité, du fait que cette zone constituait
une forteresse imprenable dans l'état du rapport de force
existant, mais aussi et surtout avec l'idée que le capital
ne se limite pas à 8 maîtres de cérémonie
officiant dans leur temple converti en forteresse, mais que, structurant
la totalité des rapports sociaux, il étend sa mainmise
sur tout le territoire), soit contre toutes les structures du
capital et du pouvoir politique à la périphérie
de cette zone. Cependant, bien que les "positions" avancées
par ces groupes se démarquent clairement du radical-réformisme
des organisateurs officiels du sommet (lutte contre le capitalisme
global, et non seulement contre la "mondialisation"
; auto-organisation et autonomie de la lutte
) on peut se
demander - et la question est posée sans prétendre
y apporter une réponse claire et définitive - dans
quelle mesure les actions de type insurrectionnel menées
par ces groupes ne servaient pas objectivement à renforcer
la légitimité de la tendance réformiste dominante,
qui, dans sa stratégie de négociation et de dialogue,
voulait précisément apparaître comme le seul
interlocuteur légitime du G8, le raisonnement de ces crapules
étant le suivant : soit vous (le G8) acceptez de nous reconnaître
comme interlocuteurs représentatifs, de prendre en compte
nos revendications et de nous faire participer aux négociations
(démarche du contrôle citoyen, du "mouvement
social européen"
), soit vous vous exposez au
risque de plus en plus menaçant d'un débordement
par une horde de casseurs surexcités et antidémocratiques
Pour autant, ce questionnement ne signifie pas que toute stratégie
violente et, disons, d'action directe et autonome, soit condamnée
à l'échec en raison d'un risque inéluctable
de récupération par les organisations social-démocrates
; il s'agit uniquement de prendre acte de cette réalité
et de réfléchir à de nouvelles formes de
stratégies violentes
^
Violence/non-violence : faux débat, vraie mystification
.....La violence et la légitimité
(ou l'illégitimité) d'y recourir a été
au centre des débats. Elle constituait en même temps
le cur de l'orchestration médiatique des affrontements.
Un exemple entre mille : les chaînes de télévision
diffusaient en continu et quasiment en direct des images d'affrontements
et utilisaient d'habiles séquences de montage (par exemple
des plans insistants et passant quasiment en boucles sur quelques
barres de fer ou quelques bâtons pour faire croire à
l'existence de caches d'armes ultra-secrètes) pour amplifier
au maximum la violence des manifestants et, a contrario, minimiser
la violence des flics et des militaires sur-armés, le tout
afin de justifier idéologiquement la répression
d'Etat et de la faire accepter par la population en entretenant
en permanence un climat de psychose généralisée.
Et les politiciens, de gauche ou de droite, n'avaient que ce mot
à la bouche s'égosillant sur les casseurs ! Les
voyous ! Les anarchistes !
.....Dans le même ordre d'idées,
mais avec quelques précautions supplémentaires,
les officiels du contre-sommet (le G.S.F. : Genoa Social Forum)
ne se privèrent pas d'utiliser ces mêmes arguments
contre la violence qualifiée d'aveugle pour isoler les
franges radicales agissant lors des affrontements qui venaient
perturber les démonstrations pacifiques aux airs de parade
militaire et se poser ainsi comme les interlocuteurs légitimes
à l'occasion des procédures institutionnelles de
la démocratie bourgeoise représentative.
Dans un cas comme dans l'autre, on est au cur de la même
illusion, sciemment entretenue ou naïvement reproduite :
présenter la violence comme un choix, une option, un enjeu
stratégique et comme une ligne de clivage entre bons et
mauvais manifestants, entre casseurs et militants, ou, d'un autre
point de vue, entre révolutionnaires et réformistes
Or, la réalité des événements des
vendredi 20 et samedi 21 à Gênes a démontré
pratiquement la stupidité de cette argumentation : un grand
nombre de participants, appartenant à des organisations
ayant condamné explicitement la violence ou ayant appelé
à une violence purement symbolique et spectaculaire, en
firent usage dès les premières charges de carabiniers;
et le niveau de violence des combats de rue ne fit qu'augmenter
à mesure que s'intensifiait une répression qui visait
indistinctement les "pacifistes", "les insurrectionnels"
et les "hésitants".
Cette réalité démontre, s'il en était
encore besoin, que le recours à la violence n'est jamais,
sauf peut-être dans les têtes des militants, le résultat
d'une volonté consciente, planifiée et rationnellement
mise en pratique, ou, en d'autres termes , un choix politico-militaire
ou même éthique, mais le produit d'une situation
d'affrontement (de classe) bien déterminée qui mobilise
tout un chacun, quelles que soient ses représentations
idéologiques ou ses "convictions éthiques".
En d'autres termes, la violence ne se choisit pas mais s'impose
comme une nécessité pratique inhérente à
un stade déterminé de la lutte de classe, dans la
seule mesure où la domination d'Etat et l'exploitation
capitaliste ne reposent que sur la violence, réelle ou
symbolique. Ou, si l'on veut, la violence n'est pas une question
théorique, mais une question pratique.
Militantisme
contre lutte de classe...
.....Le mouvement anti-mondialisation,
y compris dans ses franges les plus radicales, reste enfermé
jusqu'à présent dans une logique de militantisme
politique et se situe dans une extériorité absolue
à la lutte réelle de la classe ouvrière,
entendue comme la lutte menée par les producteurs selon
des modes d'organisation et par des moyens d'action qu'ils définissent
eux-mêmes, souverainement, dans le but de s'emparer de l'appareil
productif et de le faire fonctionner collectivement en vue, non
de l'accumulation de plus-value, mais de la satisfaction de besoins
sociaux.
.....Ce constat amène à
s'interroger sur les perspectives et les potentialités
de ce mouvement dans une finalité rupturiste, révolutionnaire
et ses capacités à s'arracher à la logique
militante-activiste. On peut envisager, me semble-t-il, deux directions
possibles au mouvement anti-mondialisation :
- soit le mouvement reste tel qu'il est et l'affrontement se situera
alors sur le terrain purement politicien du conflit de représentativité
et de légitimité, terrain sur lequel se plaçaient
volontiers, au moment du sommet, les dirigeants politiques, par
exemple un président américain déclarant
que le mouvement de Gênes n'était pas représentatif
de la population. Il ne sera alors pas autre chose qu'un mouvement
d'accompagnement et d'intégration dans le cadre des transformations
actuelles du capitalisme et de ses représentations politiques
: déclin des Etats-nations, émergence de modes de
régulation politique de dimensions régionales
- soit le mouvement trouve une base de classe en réalisant
une jonction avec la lutte menée par les travailleurs sur
les lieux de production, par les exploités sur les lieux
de leur exploitation : prendre pour cibles les moyens de production
plutôt que la marchandise (en ce sens, des actes comme le
bris de vitrines, l'incendie de voitures et de banques ou les
blessures infligées à la flicaille, s'ils peuvent
être jouissifs et grisants, paraissent être d'une
efficacité subversive relativement limitée) ; s'attaquer
au capital en tant que système productif et rapport social
plutôt qu'à l'hégémonie de quelques
multinationales diabolisées et au capital spéculatif;
détruire le mode de production capitaliste plutôt
que de quémander une meilleure répartition de la
richesse mondiale. En ce sens, ne pourrait-on pas imaginer, au
cours de ces sommets, des occupations d'usines, la participation
à des grèves locales de travailleurs et une liaison
organisée entre ces multiples mouvements de lutte.
.....L'orientation du mouvement vers
une base de classe grâce à la lutte autonome des
prolétaires (et, par conséquent, l'anéantissement
du militantisme) ne résultera en aucun cas de la seule
politique volontariste menée par quelques organisations
dites révolutionnaires et de leur propagande (on peut même
affirmer que, comme par le passé, celle-ci ne jouera qu'un
rôle infime) mais de l'évolution du capitalisme,
de ses conditions objectives, et, en riposte à l'intensification
de l'exploitation de la force de travail et à l'appauvrissement
de pans entiers du prolétariat expulsés de la sphère
productive, du degré de conscience de classe atteint par
la classe ouvrière.
P.R.O.L.
25/09/01 - Texte trouvé sur la liste de discussion du Cercle
Social cerclesocial@yahoogroups.com
- envoyé par elincontrolado@yahoo.fr
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Bibliographie et Glossaire...
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