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PoRnOGrApHiE
La dominance sexuelle rendue sexy



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La pornographie ou la dominance sexuelle rendue sexy...
Sylvie Richard-Bessette*

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La pornographie est un produit de consommation au même titre que la voiture et la bière. Utilisée pour satisfaire nos besoins sexuels ou en guise de hors-d'œuvre à l'acte sexuel, la pornographie fait partie de notre quotidien. On la retrouve sous de multiples formes allant des magazines aux bars de danseuses nues, en passant par les vidéocassettes, les films pour adultes, les peep-shows, les lignes érotiques et le cybersexe. Variée et facilement accessible, la pornographie prétend libérer la sexualité en dévoilant tous les fantasmes et en passant outre aux tabous de notre époque.

Les féministes ont depuis longtemps dénoncé cette conception de la sexualité. Pour nombre d'entre elles, la pornographie ne fait que reproduire les attitudes sexistes et violentes de notre société à l'endroit des femmes et des enfants. À l'instar des autres types de violence sexuelle, elle contribue à diviser les sexes et à entretenir une image fausse et mythique de la sexualité et des rapports humains. Malheureusement, cette critique féministe est encore trop souvent réduite à une opposition véhémente contre toute forme de nudité ou d'expression sexuelle. Cet article propose donc de poursuivre la réflexion. Il ne s'agit pas ici de reprendre systématiquement les différents débats et analyses féministes ni l'ensemble des recherches sur le sujet, mais plutôt d'approfondir certaines idées déjà énoncées et de les développer à partir d'une grille d'analyse béhavioriste et féministe. Les objectifs sont de montrer comment la pornographie hétérosexuelle façonne les systèmes de représentation de la sexualité et les rapports sociaux de sexe, et de proposer des avenues de recherche et d'intervention en éducation sexuelle.


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Définition de la pornographie...
Il n'est pas aisé de définir la pornographie. Le concept réfère tantôt à l'obscénité ou à la sexualité explicite, tantôt à l'érotisme, quand ce n'est pas carrément à la nudité. Le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme a proposé en 1988 la définition suivante de la pornographie :

- La pornographie signifie la représentation ou la description de comportement violent ou dégradant ou de comportement causant ou pouvant causer le décès d'autrui, lequel comportement, infligé par une personne à une autre ou par cette personne à elle-même, est représenté ou décrit dans le but manifeste de stimuler ou de gratifier sexuellement le spectateur, le lecteur ou l'auditeur; comportement, en outre, qui donne l'impression d'être prôné ou approuvé.

Une représentation sera qualifiée de pornographique si elle réunit les trois caractéristiques suivantes (Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, 1988) :

1. elle dépeint des comportements ou des actes d'injustice violents ou dégradants ; ET
2. elle vise manifestement à stimuler ou gratifier sexuellement le spectateur, le lecteur ou l'auditeur ; ET
3. elle prône ou approuve ce comportement.

Il ne s'agit donc pas de condamner les descriptions d'abus sexuels, ni de désapprouver la sexualité, la nudité ou l'exposition des organes génitaux, mais bien les différentes formes de comportements violents ou dégradants présentés dans le but de stimuler sexuellement un auditoire.

La pornographie hétérosexuelle présente surtout des comportements où les femmes sont abusées et soumises à des actes dégradants. Par comportement sexuel abusif, on entend toute conduite dénigrante, abaissante, méprisante, nuisible, brutale, cruelle, douloureuse ou violente comme uriner ou déféquer sur une femme, éjaculer sur son visage, la dépeindre comme une esclave sexuelle impatiente de répondre aux moindres désirs de l'homme, la pénétrer de force, la réduire à des organes génitaux ou à un être aimant se faire appeler cochonne, salope, négresse, chienne, putain ou bunny (Russell, 1993).

Un acte est dégradant dans la mesure où il produit des conséquences négatives chez l'individu. Voilà donc en quoi réside le rôle des scientifiques: déterminer dans quelle mesure tel ou tel comportement nuit au développement d'un individu ou d'un groupe. La tâche n'est certes pas facile. Les recherches actuelles ne permettent pas toujours de préciser avec exactitude les conséquences à long terme de la consommation de pornographie. Cette question sera d'ailleurs abordée plus loin.


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Analyse du phénomène pornographique...
Il n'existe pas de consensus sur ce qu'est la pornographie. Certains distinguent la pornographie douce de la pornographie dure, d'autres l'érotisme de la pornographie. Il s'avère toutefois difficile de tracer une ligne de démarcation entre les deux. Dangereux aussi, car la condamnation de certaines formes de pornographie donne à penser que les autres formes sont moralement acceptables ou non dommageables. Bien sûr, la pornographie où des femmes sont torturées, ligotées et même tuées est condamnable et intolérable. Ces images ne sont toutefois que le prolongement d'un continuum pornographique; l'aboutissement inévitable d'une certaine idéologie qui promeut l'exploitation et la violence sexuelles. Théorêt et Gladu (1984) utilisent le concept de pornotopie pour montrer "l'étendue de la pornographie dans nos systèmes de représentation, de communication et d'éducation". Ce terme réfère non seulement aux déterminants des rapports sexuels, mais aussi à toutes les formes de relation de pouvoir entre les sexes.

"Pornotopie" ne réfère pas uniquement aux manifestations extrêmes de ce pouvoir, comme le viol, les relations sadomasochistes mais aussi et surtout aux normes qui façonnent les rôles sexuels par la publicité, la mode, la littérature dite "érotique", l'éducation sexuelle et qui déterminent quotidiennement les relations hommes-femmes.

Les auteures précisent que :

- La "pornotopie" nuit aux femmes parce qu'elle leur ment sur leur sexualité en leur assurant qu'un homme, quoi qu'il fasse, les mènera infailliblement au plaisir et que ce plaisir sera inévitablement atteint par la pénétration. La "pornotopie" les dépossède du contrôle sur leur propre sexualité pour le remettre aux hommes, lesquels deviennent dès lors responsables et de leur plaisir et de celui de leur partenaire. Elle retire aux femmes le privilège de déterminer la nature, le lieu et les conditions de leur jouissance.

La pornographie est un des véhicules du modèle sexuel dominant (Théorêt et Gladu, 1984). Pour bien saisir l'étendue de ce modèle, il faut examiner les divers apprentissages qu'il favorise à chaque niveau systémique2 de l'environnement. Quelles sont les règles de contingence3 renforcées par la pornographie ? Quel est l'impact de ces contingences4 sur nos comportements sexuels et nos rapports entre les sexes ? Pourquoi les images pornographiques demeurent-elles toujours aussi renforçantes pour les hommes et le sont-elles pour certaines femmes ? La pornographie a-t-elle des effets différents sur la sexualité et sur les rapports hommes-femmes que d'autres agents de socialisation (famille, médias, etc.)? Et si tel est le cas, de quelle nature sont ces différences ? Voilà quelques-unes des questions qui mériteraient plus d'attention.


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La représentation sociale des sexes...
L'homme se définit essentiellement par le trio de valeurs puissance, pouvoir, possession, auxquelles s'ajoutent l'agressivité, la liberté, le contrôle et l'individualité (Préjean, 1994). En très bas âge, ce sont ces comportements qui sont renforcés chez le garçon. Pour appartenir à la classe des hommes et être un "vrai", le garçon apprend très tôt à contrôler son environnement en utilisant au besoin la force, l'agressivité et les habiletés verbales permettant d'entrer en compétition avec les autres. Son corps a une fonction instrumentale (Daigneault et Dessureault, 1991). Il sert à agir, à construire, à décider, à penser.

Le corps de la femme est, quant à lui, défini à partir de critères purement esthétiques. Cette définition réduit la femme à son corps, quand ce n'est pas à ses organes. Ce corps est devenu un objet qui sert à plaire, à séduire, à donner vie et plaisir aux hommes. Les jeunes filles apprennent rapidement à s'occuper de leur corps et de leur apparence. On les renforce à demeurer propre et sage, à sourire, à surveiller leur alimentation pour rester mince, à se maquiller pour mettre en évidence certains traits de leur visage ou pour cacher leurs imperfections, à colorer leurs cheveux, à adoucir leur peau, à s'habiller de façon à mettre en valeur leurs formes. Parler fort, s'opposer à l'autre, être agressive, affirmative sont au contraire des comportements habituellement punis chez les filles, car considérés comme trop masculins.

Plus tard, à l'âge adulte, les femmes se serviront de ces atouts pour obtenir l'attention et les faveurs des hommes5. La conformité aux critères de beauté et aux comportements féminins (passivité, docilité, disponibilité, douceur, etc.) assurent donc aux femmes une certaine reconnaissance des hommes et l'accès à certains privilèges. L'apparence du corps de la femme sert d'ailleurs souvent "de prétexte pour qualifier et sa performance professionnelle et sa personne" (Lavergnas-Grémy, 1986, p. 49). Les journalistes, par exemple, s'attardent souvent aux charmes de l'actrice plutôt qu'à sa performance. De même, la popularité de plusieurs chanteuses est souvent proportionnelle au pourcentage de peau qu'elles dévoilent. Les revues de mode et de beauté confirment elles aussi aux femmes qu'être féminine (sexy, mince, jeune, belle, douce, souriante) assure le succès auprès des hommes. L'analyse des petites annonces de rencontre constitue d'ailleurs un bon exemple de cette tendance féminine plus marquée à se définir à partir d'attraits physiques (corps, beauté) comparativement aux hommes (Frigault et al., 1994). Et, faut-il le rappeler, ce sont d'ailleurs les femmes qui participent à des concours de maillots de bain et de beauté.

Les mécanismes de maintien des rapports de dominance...
Les rapports sociaux de sexe se traduisent, comme on l'a vu, par une opposition entre l'homme-sujet et la femme-objet. Cette opposition est maintenue par une socialisation permettant aux hommes de s'approprier le corps des femmes et donc de garder leur pouvoir sur elles (Bouchard, 1991). En réduisant les possibilités d'action des femmes6, la classe des hommes7 peut maintenir sa position de dominance ou son rang. Parmi les stratégies utilisées, on retrouve la négation des femmes comme sujets (négation de la capacité d'autonomie des femmes, accentuation des différences biologiques maintenant les femmes dans des emplois qui leur sont traditionnellement réservés, donc peu rémunérés et peu valorisés), l'objectivation des femmes (par le rapport au corps qui définit la femme), l'utilisation de leur corps à des fins de consommation et de production (pornographie, prostitution, publicité, contrôle des naissances, etc.), et l'utilisation de la violence physique et verbale (harcèlement sexuel, violence conjugale, agression sexuelle, etc.) (Bouchard, 1991; Rich,1981).


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Ces mécanismes montrent clairement que la discrimination et les inégalités sexuelles sont des construits sociaux au service d'une classe (Itzin, 1992). La femme n'est pas par nature soumise et docile ; l'homme, dominant et agressif. La dominance sociale n'est pas une donnée de départ, mais une construction sociale qui permet de partager les ressources entre les individus. La différenciation dans les rôles de dominant et de subordonné s'observe en très bas âge chez les enfants (Gauthier et Jacques, 1985; Trudel et Strayer, 1985). Ces comportements sont toutefois soumis à des contingences différentes pour chaque sexe. Chacun des sexes va apprendre à utiliser le pouvoir différemment.

Le pouvoir, c'est bien connu, n'est pas distribué également. À l'intérieur de la classe des hommes, certains ont plus de ressources que d'autres. Si on compare cette classe à celle des femmes, l'asymétrie devient alors évidente. Cette situation s'explique par le fait que l'accès aux ressources demeure surtout limité au groupe dominant. Les recherches en écologie humaine ont montré comment l'accès aux ressources à l'intérieur des systèmes permettait à un individu de s'adapter et de résoudre des problèmes (Bronfenbrenner, 1979; Guay, 1987). La classe des hommes possède les ressources personnelles (autonomie, force, agressivité, esprit de compétition et de rivalité, etc.), sociales et économiques (accès à des emplois plus stables, mieux rémunérés et ayant plus de possibilités d'avancement, etc.) nécessaires tant au maintien qu'au développement de ce pouvoir. Divers mécanismes de contrôle (État, mariage, éducation, etc.) ont également permis à cette classe de demeurer dominante (Préjean, 1994).

Il ne faut pas perdre de vue que le pouvoir est une relation et non pas un attribut des personnes (Crozier et Friedberg, 1977). Il se manifeste lorsque deux ou plusieurs acteurs, dépendants les uns des autres dans l'accomplissement d'un objectif commun, entrent en interaction (Crozier et Friedberg, 1977). Il est intimement lié à la négociation et se présente comme une relation d'échange où les termes sont plus favorables à l'un des acteurs en présence. Le rapport de pouvoir se fonde sur les atouts, les ressources et les forces de chacune des parties en présence. En termes béhavioristes, on pourrait définir le pouvoir comme la capacité d'un individu à modifier les comportements d'autrui.

Si on applique ce raisonnement aux rapports hommes-femmes, on constate que la classe des hommes maintient son pouvoir parce qu'elle garde une mainmise quasi totale sur les ressources et ce, en dépit des progrès réalisés par les femmes au cours des dernières années. Comme on l'a vu plus haut, les garçons et les filles sont soumis dès leur naissance à des contingences différentes qui permettent aux hommes de développer les compétences nécessaires au maintien de leur position. Les femmes, quant à elles, apprennent rapidement à s'associer aux hommes pour avoir accès à ces ressources. Cet apprentissage se fait, entre autres, par l'érotisation sociale des hommes plus âgés et fortunés, présentés comme des symboles de pouvoir. Les téléromans et les romans Harlequin fourmillent d'hommes bien bâtis et ayant une position sociale qui font rêver les femmes (Valverde, 1989).

La situation de la femme a certes évolué. Il faut cependant garder à l'esprit que ce sont surtout les femmes blanches des milieux sociaux favorisés et des pays développés qui ont bénéficié de ces changements. En effet, plus les femmes sont éduquées, plus elles acquièrent des ressources économiques, et plus elles résistent aux mécanismes de contrôle des hommes. Ce groupe de femmes favorisées demeure toutefois restreint. Le marché du travail limite encore l'accès des femmes à des postes intéressants et importants. De plus, les obligations familiales mettent un frein au développement personnel et social d'un grand nombre de femmes.


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La pornographie : mécanisme de maintien de la dominance sexuelle...
La pornographie transpose au plan des comportements sexuels une domination que les hommes, en tant que classe, exercent sur les femmes dans tous les domaines de la vie (Carrier, 1983, p. 19). Prétendre que la pornographie n'est qu'un simple divertissement pour adultes, une innocente exposition de corps nus ou une représentation naturelle d'actes sexuels, contribuent à banaliser le phénomène. La pornographie fait partie, comme on l'a vu, des mécanismes qui régularisent et contrôlent les rapports sociaux de sexe au même titre que la famille, l'État et le mariage (voir Préjean, 1994). Elle traduit, à travers la nudité et les actes sexuels, un ensemble de valeurs sexistes et racistes8 qui élèvent la soumission des femmes au rang de vertu.

La pornographie n'est pas la cause des agressions sexuelles, mais plutôt une des manifestations des inégalités sociales et sexuelles. Il s'agit d'une forme de rapport de pouvoir où la dominance sociale est érotisée, rendue sexy9 et inoffensive, par diverses formes d'images, d'écrits et de représentations où la femme se pose comme objet sexuel et l'homme comme le sujet qui dispose de cet objet.

Playboy ne présente pas sa bunny du mois pour glorifier le corps de la femme, comme le prétend son fondateur, Hugh Hefner. Mais plutôt pour exciter les hommes en leur montrant ce qu'une femme doit être pour leur faire plaisir10 et "il ne s'agit pas d'une coincidence si la femme photographiée est jeune, mince, de race blanche et vulnérable" (Valverde, 1989, p. 144-145). Evidemment, plusieurs diront : Qu'y a-t-il de mal à présenter une femme nue ? C'est beau un corps de femme. En effet, c'est beau un corps de femme, un corps d'homme aussi, et il n'y a pas de problème à le montrer nu. Toutefois, ce message reproduit toujours les mêmes clichés sexistes de domination : pour être désirable, une femme doit être sexy et inoffensive. Ce qui signifie être jeune, mince, blonde de préférence11, être passive, montrer son corps et écarter ses orifices pour recevoir l'offrande mâle.

L'érotisation de la domination sexuelle est présente non seulement dans la pornographie mais également dans les publicités, les magazines féminins, les films, les vidéoclips, les romans à l'eau de rose et les téléromans (Baby et al., 1992; Valverde, 1989). D'ailleurs, plusieurs considèrent les romans Harlequin comme une forme romancée de pornographie (English et al., 1981; Snitow,1989). Ainsi, pendant que les hommes apprennent à érotiser la soumission des femmes en dévorant leur Penthouse, les femmes intériorisent leurs rôles en feuilletant les pages des magazines féminins ou en rêvant au héros riche et célèbre d'un Harlequin (Valverde, 1989).

Il faut comparer les postures des femmes et des hommes dans les revues pornographiques et féminines pour constater l'étendue de la pornotopie. Dans la pornographie, on réduit la femme à une paire de fesses, de seins et à des jambes écartées. Le visage et le reste de son corps sont souvent cachés. Pour vendre des produits de beauté aux femmes, on utilise des postures similaires. La publicité de Lancôme ("Réflexe Minceur") illustre bien ce point de vue. Elle présente une femme de dos penchée; on ne voit que ses fesses, ses jambes et ses avant-bras. Le reste de son corps a disparu comme par magie (la posture est d'ailleurs digne d'un numéro de contorsionniste). Si on enlevait la culotte au mannequin, la photo serait sans l'ombre d'un doute qualifiée de pornographique ou d'obscène. Par cet exemple, on voit bien que la limite entre ce qui est déclaré pornographique dans notre société et ce qui ne l'est pas tient souvent à un bout de tissu qui cache ce qui est considéré comme vulgaire ou cochon : la vue des organes génitaux.


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Les annonces de shampooing, de colorant pour cheveux, de jeans qui présentent les femmes dans une posture d'attente (assise, les jambes entrouvertes, le chemisier détaché, la bouche humide et ouverte, les yeux mi-clos ou le regard vague ou encore à quatre pattes, le dos cambré) sont au contraire considérées comme sensuelles, voire érotiques. Il est normal, acceptable et de bon goût dans notre culture de présenter des femmes qui jouissent en se lavant les cheveux ou en enfilant une paire de jeans. Les créateurs éprouvent beaucoup de difficulté à présenter des femmes sensuelles sans qu'elles aient l'air idiotes. Les femmes ne peuvent-elles avoir du plaisir sexuel autrement qu'en s'occupant de l'apparence de leur corps?

Nous sommes habitué(e)s à voir ces images où les femmes sont toujours disponibles sexuellement et béates d'admiration devant les muscles d'un homme. Relever ce fait amène inévitablement des critiques ou des commentaires négatifs. La plupart des femmes ont d'ailleurs appris à se taire et à baisser les yeux devant ces images, ou simplement à trouver normales ces représentations du corps féminin. Elles ont souvent bien intégré le discours masculin et diront qu'il s'agit d'images sensuelles qui gratifient la femme. Elles iront même jusqu'à affirmer que la femme n'est pas un objet sexuel, qu'elle est consciente de ses atouts et qu'elle s'en sert. Toutefois, ces atouts sont de courte durée. Il s'agit d'un pouvoir éphémère et indirect qui permet d'accéder à d'autres formes de pouvoir détenues par les hommes. Ce pouvoir n'existe pas en soi, puisqu'en l'absence des hommes, il devient inopérant.

Certains argumenteront que le corps des hommes est maintenant utilisé dans les publicités au même titre que celui des femmes. On voit, en effet, apparaître depuis quelques années des publicités qui misent sur le corps des hommes pour mousser la vente des produits. Il reste que ces nouvelles représentations du corps masculin sont marginales et qu'elles reprennent les stéréotypes masculins habituels. De plus, ces corps musclés ne sont pas passifs et rarement présentés de façon aussi ridicule que ne le sont les corps féminins. Ces images, qu'on peut apercevoir dans nombre de magazines féminins, ont probablement beaucoup plus d'impact sur les fantaisies éveillées des femmes et sur les comportements des hommes homosexuels que sur ceux des hétérosexuels. Ces derniers savent très bien que leur pouvoir et leur attrait auprès des femmes reposent davantage sur leur humour, leur richesse et leurs connaissances que sur leur corps. En fait, dans la culture hétérosexuelle, la beauté du corps des hommes est vue comme un "plus", tandis que celle des femmes est une "nécessité". Le rapport au corps est tout à fait asymétrique. Le nombre de magazines de beauté pour femmes se révèle, à cet égard, fort éloquent.

La représentation des corps dans les films dits érotiques est aussi très éclairante. Si l'on définit l'érotisme comme une sexualité suggestive ou du matériel excitant non sexiste, non dégradant, non raciste et non homophobe respectant tous les êtres vivants (Russell, 1993), combien de films, de spectacles ou d'écrits pourraient être qualifiés d'érotiques ?

Les films dits érotiques reprennent, pour la plupart, les images stéréotypées et sexistes de notre société et présentent comme érotiques les rapports de force et les inégalités sociales (Valverde, 1989). La femme est montrée nue ou est légèrement vêtue tandis que l'homme est habillé ou peu montré par la caméra s'il est nu ; l'homme est présenté comme ayant un rôle dominant dans l'initiation des comportements sexuels ; au contraire, la femme qui prend l'initiative est habituellement dépeinte comme anormale, voire même hystérique et dangereuse (pensons à ces séries de films où sexe et violence s'entremêlent comme Fatal Attraction, Basic Instinct, Fatale, etc.) ; la femme est jeune, belle, mince et blanche ; l'homme est généralement plus vieux, fortuné ou ayant un statut social important; la femme préfère la pénétration vaginale et atteint, on ne sait trop par quel miracle, l'orgasme au bout de quelques secondes, l'homme est habile et sait faire jouir sa partenaire, etc. à quelques "je t'aime" près, ces films reprennent les mêmes clichés. La différence tient presque essentiellement au pourcentage de peau dénudé et au nombre de scènes sexuelles. S'ils sont considérés comme érotiques, c'est en raison de leur histoire, de l'absence de gros plans sur les organes génitaux et de violence sexuelle trop explicite. Pourtant, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ces films montreraient plus souvent des femmes victimes de violence sexuelle que dans les films pornographiques (Palys, 1986; Yang et Linz, 1990).

Ces quelques exemples tirés des médias illustrent la forte tendance du modèle pornotopique à écrire les rapports entre les sexes à partir d'une idéologie centrée sur la dominance sociale des hommes. Si de nouvelles représentations des sexes existent et tentent de s'imposer, c'est à la suite des pressions féministes et de certains changements sociaux. Les publicitaires se sont, en partie, adaptés à ces pressions. Les héroïnes de certains romans changent et s'écartent des images traditionnelles des films pornographiques destinés aux femmes et présentant des images différentes apparaissent aussi sur le marché (Williams, 1989). Ces nouvelles représentations demeurent encore assez marginales et, à y regarder de plus près, il s'agit bien souvent des bons vieux clichés sexistes servis dans un nouvel emballage (voir Nadeau, 1993).


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Ce qu'on reproche à la pornographie...
On reproche souvent à la pornographie de présenter des comportements dénués de sentiments et des personnes désensibilisées. Les sentiments réfèrent à l'expression verbale ou non verbale, plus ou moins précise, d'états internes. Les acteurs et les actrices des films pornos expriment sans arrêt par leurs cris, leurs paroles ou leurs actes, leurs réactions aux gestes de l'autre. Alors de quoi parle-t-on au juste ? De l'absence de sentiments amoureux ? Si tel est le cas, il faut rappeler que le but de la pornographie n'est pas de présenter des gens qui s'aiment mais qui ont du plaisir sexuel. Quel problème y a-t-il là-dedans ? Certaines vidéos s'adressant aux femmes présentent des scènes sexuelles dans un contexte plus affectueux (Berger et al., 1990). Ces images ne font souvent que reprendre les valeurs féminines traditionnelles (douceur, amour, affection, tendresse, etc.). Les films hollywoodiens présentent des couples qui s'aiment, et ils ne sont pas moins sexistes pour autant (voir Valverde, 1989). Erotiser le mariage et les couples stables ne sont sûrement pas des solutions pour redonner du pouvoir aux femmes.

Quand on affirme que les personnes sont désensibilisées, qu'entend-on par là ? Que les modèles masculins dans la pornographie violente semblent insensibles à la douleur ressentie par les femmes ? Ne devrait-on pas plutôt parler d'hommes prenant plaisir à voir souffrir l'autre ? Les scénarios où la femme commence par supplier son agresseur de cesser de la malmener pour finalement lui demander de continuer sont nombreux. L'association douleur-plaisir ou soumission-plaisir est souvent répétée dans la pornographie. La femme est invariablement représentée dans une position de soumission ; l'homme, dans la position inverse. Certains rétorquent que les activités sadomasochistes sont différentes, mais le sont-elles réellement ? Dans la réalité, on sait très bien qu'un homme ligoté par une femme l'est de plein gré. Il peut résister et se défendre sans problème. Il aime s'imaginer dans une situation où il perd pour un temps le contrôle, mais dans les faits, n'est-ce pas lui qui contrôle le déroulement de la situation ? Les rapports sexuels impliquent une certaine perte de contrôle et un abandon. Dans la pornographie hétérosexuelle, seules les femmes semblent perdre le contrôle et s'abandonner à l'autre.

La pornographie homosexuelle serait au contraire "un phénomène culturel qui ne fait pas de victime" ("Emergency Committee of Gay Cultural Workers Against Obscenity Laws", dans Comité spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution,1985, p. 88). Il existerait, en effet, du matériel pornographique homosexuel où les rapports de domination sont absents (Poulin,1994). Toutefois, selon Moreau (1984, dans Poulin,1994), la pornographie homosexuelle reproduit bien souvent les stéréotypes masculins et féminins de la pornographie hétérosexuelle. Certes, la pornographie lesbienne, gaie et celle produite par les femmes tentent de proposer de nouveaux modèles. Cependant, encore trop peu de recherches ont analysé de façon systématique le contenu et les symboles contenus dans ce type de matériel, ainsi que les effets de sa consommation sur les comportements. En outre, la pornographie produite par les femmes occupe une place bien restreinte dans le marché pornographique actuel.

On entend souvent dire que la pornographie est répétitive et par conséquent monotone et lassante pour de nombreux consommateurs. D'autres soutiennent que cette répétition renforce les comportements sexistes et de dominance, et amène le consommateur à se tourner vers du matériel plus violent. Malheureusement, nous connaissons peu les effets à long terme de la consommation de pornographie. Les études disponibles sur ce sujet portent surtout sur des agresseurs sexuels. Les coûts élevés et les difficultés liées aux recherches longitudinales limitent de telles recherches aux effets d'une consommation contrôlée en laboratoire de quelques semaines, voire de quelques mois. Mais qu'arrive-t-il après deux ans, cinq ans, dix ans de consommation régulière ? À partir de quand le consommateur atteint-il la satiété ? Que fait-il lorsque les stimuli ne provoquent plus les conséquences renforçantes ? Quelles contingences amènent certains hommes à être davantage renforcés par les stimuli pornographiques que d'autres? Quels facteurs expliquent la consommation régulière plutôt que la consommation occasionnelle ? Est-ce que les hommes ayant moins de contrôle dans la vie réelle sur les femmes deviennent des consommateurs plus réguliers ?

La pornographie est également reconnue pour être dégradante. Déterminer ce qui est dégradant dans une image demeure difficile. Qu'une femme soit à genoux devant un homme ou que la caméra montre seulement ses organes génitaux n'est pas en soi dégradant ou pornographique. À la limite, ces images prises de façon isolée pourraient même être qualifiées de sensuelles ou d'érotiques. Après tout, il s'agit de comportements possibles lors d'une relation sexuelle.

En fait, les images deviennent dégradantes si elles décrivent négativement les personnes et si ces descriptions ont des conséquences négatives sur l'individu. La pornographie a une forte tendance "à représenter les femmes d'une façon morcelée ou dans des postures semi ou non verticales et la tendance à représenter les hommes d'une façon globale et dans des postures debout" (Gendron, 1992, p. 158). Lemire et al. (1980) ont montré, par l'analyse de revues pornographiques, cette tendance à morceler le corps des femmes. La répétition de ces postures et de ces comportements restreint les possibilités de chaque sexe et exagère les rapports de dominance. Les modèles féminins se soumettent avec plaisir aux moindres demandes des hommes (même si la position est inconfortable ou si on les blesse), elles en redemandent toujours, elles exposent leurs parties génitales, elles crient et gémissent comme pour rassurer l'homme sur ses performances sexuelles, etc. Les modèles masculins sont eux aussi le reflet de notre conception de l'homme viril : musclé, fort, puissant, capable de faire jouir toutes les femmes, d'avoir des érections sur commande, d'éjaculer un nombre de fois record, etc. Les textes et les images pornographiques décrivent des rôles bien précis pour chacun des sexes. Ces deux extraits en témoignent.


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[...] Maintenant qu'on lui a retiré son bâillon, elle hurle de plaisir. Elle sait qu'elle ne mérite pas le gros pénis qui vient de la baiser frénétiquement. Ne vous apitoyez donc pas sur son sort, ses larmes sont le prix de ses soubresauts et de ses orgasmes juteux. Tout ce qu'elle a trouvé à dire lorsque son maître lui a finalement rendu la parole c'est "Baise-moi encore! Je ne suis rien sans ton corps uni au mien. Mets-moi ton pénis et remplis-moi de ton jus". De toute évidence, son maître sait ce qu'il fait! (Club, vol. IX, no 6, 1983, p. 5, dans Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, 1984, p.1334).
Lorsque j'ai souri, j'avais sur les lèvres le goût de son rouge à lèvres fraise. Sous mes coups redoublés, ses tétons ballottaient joyeusement. M'étant coupé au doigt en prenant le canif à appât dans ma poche arrière, je me mis à jurer. Les yeux de la fille s'emplirent à nouveau d'une délicieuse terreur. Le viol avait été agréable, mais le meilleur était encore à venir. (Hustler, vol. IX, no 12, 1983, p. 56-57, dans Comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes,1984, p.1326).

L'analyse des comportements sexuels dans les vidéos pornographiques illustre également cette division des rôles sexuels. La femme initie habituellement la relation par des caresses au pénis ou par une fellation. Elle est à genoux devant l'homme dans environ 91% des scènes de fellation, et rares sont les séquences où la femme atteint clairement l'orgasme (< 1%). L'éjaculation est le comportement qui détermine habituellement la fin d'une scène, et se fait le plus souvent à l'extérieur du vagin de la femme (98% des scènes analysées) (Brosius et al., 1993; Cowan et al., 1988).

Ces comportements renforcent certaines conduites sexuelles et limitent l'acte sexuel à un nombre restreint de comportements bien ritualisés et axés sur la génitalité. Sont-ils dégradants pour autant ? Dégrader renvoie à rabaisser, ridiculiser, mutiler, déformer, perdre ses qualités intellectuelles et morales, devenir négatif, etc. (Le Petit Robert, 1993). La pornographie ridiculise les femmes obèses en les présentant comme des phénomènes de cirque et les hommes en les présentant comme des "réservoirs à sperme". Elle rabaisse les femmes quand elle nous les présente souriantes après un viol. Les films snuff mutilent des corps non seulement en image mais dans la réalité. En outre, la répétition de certaines images amènent le développement de règles de contingence qui guident le comportement et déforment la réalité : "Une femme qui crie est une femme qui jouit", "une femme qui dit non signifie qu'elle en veut plus", "les femmes aiment se faire appeler salope pendant l'acte sexuel", "les femmes préfèrent les hommes brusques et froids", etc. Résultat, des hommes et des femmes se retrouvent à faire un certain nombre de choses contre leur gré pour plaire à l'autre. Les sexologues éducateurs et cliniciens doivent souvent travailler ces mythes avec les jeunes et les adultes, et répondre à de nombreuses questions concernant la performance sexuelle.

La pornographie se révèle un phénomène paradoxal : à court terme, elle excite et permet une décharge orgastique rapide ; à long terme, elle nuit à des degrés divers (satisfaction sexuelle, perception de son corps, difficulté à avoir une relation sexuelle sans stimulation pornographique préalable, etc.). Le problème, c'est que les renforcements immédiats ont plus d'effets sur le comportement que les conséquences à long terme, même si ces dernières sont fortement punitives. Plusieurs hommes en viennent à préférer se masturber devant un film porno, plutôt que d'avoir un rapport sexuel avec leur partenaire. Certains deviendront même incapables d'avoir une érection sans stimulation pornographique (Goulet, 1995). Cette situation crée, à plus ou moins long terme, des tensions entre les sexes et des frustrations résultant d'attentes fort différentes.


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Ce qu'on peut reprocher aux recherches sur la pornographie...
La consommation de pornographie est un comportement privé difficile à observer. Le portrait type du consommateur canadien de pornographie serait un homme (trois hommes pour une femme) plutôt jeune, célibataire, sans emploi, ayant au moins huit années de scolarité (Osanka et Johann, 1989). Selon une étude canadienne en 1985, deux tiers des Canadiens utiliseraient du matériel pour adultes (Osanka et Johann, 1989). On ne sait toutefois pas ce qui distingue l'environnement des consommateurs réguliers, des occasionnels et de ceux qui ne consomment pas. Les caractéristiques de leurs systèmes permettraient sans doute de mieux saisir les contingences qui agissent sur le comportement.

Il ne faut pas perdre de vue que les recherches actuelles comportent un certain nombre de biais et de limites méthodologiques expliquant, en partie, le nombre important de questions qui demeurent sans réponse (voir Christensen, 1990). La plupart des études portent sur une population de jeunes étudiants masculins qui ont débuté depuis peu leur vie sexuelle active ou encore sur une population d'hommes adultes ayant commis des délits sexuels. Consommer de la pornographie à 20 ans quand la sexualité est davantage axée sur la génitalité a sans doute des effets différents qu'à 40, 50 ou 60 ans. Afin d'éviter de surgénéraliser les résultats à l'ensemble de la population masculine, il faudrait également examiner de façon plus systématique les différences liées à la culture, au milieu socio-économique, à la scolarité, au type d'éducation sexuelle reçu, à l'orientation sexuelle, et aux expériences sexuelles antérieures des consommateurs de pornographie. Il faut aussi éviter de conclure trop rapidement qu'un homme qui réagit sexuellement aux représentations pornographiques adhère par le fait même à l'idéologie qui la sous-tend (Berger et al., 1990).

Une autre des limites est l'utilisation quasi universelle du questionnaire comme instrument de mesure. Peu d'observations, si ce n'est en laboratoire, et encore moins d'entrevues sont réalisées afin de connaître l'impact de la pornographie sur la satisfaction sexuelle de l'individu et du couple. Les questionnaires mesurent des intentions de comportement ou des perceptions, et non des comportements. La méthodologie typique d'une recherche sur l'effet de matériel pornographique consiste à faire visionner en laboratoire des films érotiques ou pornographiques, rarement plus de six semaines de suite, puis d'interroger les sujets à l'aide d'échelles d'attitudes et de questionnaires. Les sujets sont le plus souvent de jeunes étudiants en psychologie ou en sociologie qui ne se montrent sans doute pas toujours dupes des questions qu'on leur pose. De plus, on s'intéresse surtout aux attitudes, aux perceptions, aux réactions sexuelles immédiates ou aux comportements violents envers les femmes, et peu aux effets à long terme sur la vie sexuelle, affective et sociale de l'individu et du couple (voir Zillman et Bryant, 1988).

On sait, par exemple, que l'exposition à des photos ou à des vidéos pornographiques modifie négativement la perception de son apparence physique et celle du partenaire, la vie sexuelle et affective (Zillman et Bryant, 1988). Malgré leur intérêt, ces données ne permettent pas d'évaluer si cette perception affecte les comportements envers le partenaire, ni si la pornographie est plus dommageable que d'autres événements de la vie quotidienne (Christensen, 1990). Il s'agit encore ici de recherches sur les perceptions des gens et non sur leurs comportements. Fréquenter quotidiennement un collègue de bureau attirant ou côtoyer des personnes très compétentes a peut-être un effet plus négatif sur les comportements ou sur la satisfaction sexuelle que de visionner une vidéo pornographique. Il faudrait donc vérifier si la pornographie a des effets plus importants et plus durables que d'autres stimuli de la vie quotidienne affectant la vie sexuelle et affective (Christensen, 1990). Dire qu'on trouve l'autre moins attirant ou moins désirable ne nous dit pas comment le quotidien du couple est affecté, ni quel effet a cette évaluation sur les comportements sociaux.

Certaines études ont questionné les expériences des femmes avec la pornographie, mais leur portée demeure, elle aussi, encore fort limitée (Bower, 1986; Senn, 1993). On sait, entre autres, que les femmes réagissent plus négativement que les hommes à un contenu pornographique violent et sexiste (Schmidt, 1975; Senn et Radtke, 1990), et que plusieurs se plaignent d'être contraintes par leur conjoint à reproduire des actes vus dans les vidéos (Comité canadien sur la violence faite aux femmes, 1993).


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Malheureusement, nous avons trop tendance à voir les femmes et les hommes comme deux groupes distincts et à ne pas examiner les points communs et les divergences à l'intérieur d'un même groupe (Senn, 1993; Vance, 1984). Les hommes et les femmes ne forment pas des groupes homogènes. Par exemple, la recherche de Senn (1993) a montré que la réaction des femmes variait en fonction, entre autres, de leur opinion sur le sujet et leurs expériences sexuelles antérieures. On sait également qu'un certain nombre de femmes consomme de la pornographie. Dans quel environnement vivent-elles ? Quelles contingences agissent sur leurs comportements ? Quelles différences y a-t-il entre les consommatrices hétérosexuelles et lesbiennes ? Les questions sont nombreuses.

De ces quelques critiques, il faut retenir la nécessité d'élargir le champ de la recherche en analysant de façon plus systématique les différents systèmes qui composent l'environnement des consommateurs et des consommatrices de pornographie. Il faut non seulement s'intéresser à divers groupes d'individus, mais également développer des outils qui permettront de mieux comprendre les mécanismes d'apprentissage et d'identifier les contingences renforçant les normes du modèle pornotopique. Ces études ne doivent pas se limiter aux effets à court terme et aux perceptions des individus, mais s'intéresser aux comportements réels produits par la pornographie et ses dérivés.

Perspectives d'avenir...
La raison d'être de la pornographie n'est pas d'éduquer les gens ou de transmettre des valeurs égalitaires, mais bien de faire des profits. Cette industrie florissante (Poulin et Coderre, 1986) s'adapte aux plus récents développements technologiques. Jusqu'à tout récemment, la pornographie n'offrait pas aux consommateurs la possibilité d'entrer en interaction avec la playmate du mois, ni de toucher à la danseuse nue12. Le cybersexe13 et le lap dancing permettent maintenant aux consommateurs d'avoir un contrôle sur une femme réelle ou virtuelle. Mieux, l'industrie pornographique offre maintenant des CD-ROMS, des jeux sexuels interactifs sur vidéos, des échanges de photos et de textes sur les BBS et même le cybersexe. À la différence des revues ou des films, le cybersexe permet de contrôler, choisir, ressentir, décider des comportements du partenaire virtuel, et ce sans les inconvénients du partenaire réel. Finis les préliminaires sans fin, les rituels soporifiques de la séduction, l'abc fastidieux de la communication. La femme virtuelle fera maintenant ce qu'on lui demande. Son-lumière-effets spéciaux-contrôle de la situation-absence de négociation et adieu MTS, voilà un aperçu de ce qui attend le consommateur de porno de demain.


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Dans un avenir rapproché, les peep-shows disparaîtront au profit de commerces louant de l'espace virtuel. Cette nouvelle technologie remplacera-t-elle les thérapies des sexologues ? Ou créera-t-elle un nouveau type de disfonction sexuelle ? Délaissera-t-on nos bons vieux amants pour les gégabytes, les corps imparfaits pour la perfection virtuelle ? Cette nouveauté peut apparaître alléchante aux premiers abords, mais n'isolera-t-elle pas encore davantage les gens dans leurs fantasmes que ne le fait le magazine porno actuel ? Ne rendra-t-elle pas la sexualité encore plus axée sur la performance ?

Dans ce contexte, censurer, imposer des peines sévères aux distributeurs de matériel pornographique, développer des lois plus strictes14 ne réglera pas le problème de la pornographie. Le modèle pornotopique demeurera tant et aussi longtemps que les rapports entre les sexes demeureront ce qu'ils sont. À l'instar de Valverde (1989), nous croyons que :

La seule façon, à long terme, de changer le système qui érotise et légitime la domination en la rendant séduisante et "sexy", c'est de nous donner du pouvoir, et ceci comprend l'autodétermination sexuelle et l'appropriation de nos droits.

Parmi les nombreuses pistes d'action déjà proposées pour redonner du pouvoir aux femmes15, l'éducation sexuelle apparaît particulièrement importante. Redonner du pouvoir aux femmes passe par une éducation des garçons et des filles concernant les diverses formes d'inégalités sociales et sexuelles. Dénoncer n'est pas suffisant, il faut proposer des options aux comportements de dominance qui seront renforcées par les divers agents de socialisation. Nous devons développer chez les filles des comportements d'autonomie et d'affirmation. Ces comportements devraient en retour permettre aux femmes de définir leurs besoins et leurs préférences sexuelles. Les femmes doivent être renforcées à se définir autrement que par leur apparence physique. Il faut aussi cesser de les présenter comme des nymphomanes psychopathes ou des madones.

Femmes et hommes sortent perdants de la pornographie. Il s'agit donc de favoriser un érotisme non sexiste, non raciste et non homophobe. Évidemment, ces actions ne deviennent possibles que dans la mesure où seront soutenues les structures sociales qui permettront une meilleure répartition des ressources à l'intérieur des classes et une plus grande accessibilité à l'éducation (Vance, 1984; Valverde, 1989). La mise sur pied de ministères pour la condition féminine ou de campagnes de sensibilisation contre les diverses formes d'inégalités sont nécessaires mais insuffisantes. Ces actions servent d'ailleurs beaucoup plus à donner bonne conscience à nos politiciens et politiciennes qu'à redonner un pouvoir réel aux femmes. Modifier le modèle pornotopique exige des bouleversements sociaux en profondeur. De tels bouleversements risquent d'être difficiles avec le retour de la droite, un grand capital de plus en plus concentré et un backlash16 qui dure toujours. Il faudra des stratégies politiques et économiques s'attaquant aux inégalités sociales pour que la pornographie et ses dérivés (publicités, vidéoclips, etc.) soient graduellement transformés (Burstyn, 1985; Valverde, 1989). À ces actions s'ajoute la poursuite de recherches permettant de répondre aux questions qui ont été soulevées tout au long de ce texte et qui mettront en lumière de façon plus précise les effets à long terme du modèle pornotopique sur les hommes et les femmes.

Il ne s'agit pas d'une mince tâche. Pour rejoindre les gens, il faut dépasser la simple conscientisation et proposer des stimuli aussi renforçants que la pornographie, mais qui ne reprennent pas les valeurs pornotopiques. À ce propos, sexologues, psychologues et autres intervenants auront à se questionner sur l'utilisation de matériel pornographique dans le cas de dysfonctions sexuelles (Matteau, 1984) et sur leurs types d'intervention auprès des hommes et des femmes.

Changer les modèles sociaux et transformer les rapports de sexe sont des processus longs mais possibles. Il ne faut pas oublier que le pouvoir du dominant est possible tant que le dominé accepte de rester dans la relation. Lorsqu'il menace de se retirer, le dominant est souvent obligé de céder certaines ressources afin d'éviter de perdre complètement sa situation de dominant.


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(à mettre en 2ème page…)
L'auteure remercie Claude Goulet pour ses nombreuses suggestions tout au long de la rédaction de ce texte.

* Sexologue, chargée de cours au Département de sexologie de l'Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, succursale Centre-Ville, Montréal (Québec) H3C 3P8.
2. On fait référence ici aux microsystèmes, mésosystèmes, exosystèmes et macrosystème tels que définis par Bronfenbrenner (1979).
3. Une règle de contingence est un comportement verbal qui décrit une des quatre contingences possibles (renforcement positif ou négatif, punition positive ou négative). Elle joue le rôle de stimulus discriminatif dans la chaîne stimulus-réponse-conséquence (Skinner, 1971).
4. "Le concept de contingence renvoie à la relation séquentielle de dépendance entre deux événements. [à] l'apparition contingente d'un événement est conditionnelle à l'apparition préalable d'un autre" (Malcuit et Pomerleau, 1986, p. 50). En d'autres mots, un événement particulier surviendra (conséquence) si, et seulement si, tel autre événement le précède (réponse).
5. Fait intéressant, la socialisation des femmes a tellement bien réussi que la plupart des femmes sont convaincues que si elles s'occupent autant de leur apparence, c'est par choix.
6. Voir à ce sujet les écrits de Bouchard (1991), Gagnon (1993), Guillaumin (1978) et Rich (1981).
7. Préjean (1994) explique que "le concept de classe de sexe s'élabore selon les mêmes éléments de définition que celui de classe sociale" (p. 180). Nous postulons ici, comme Préjean, qu'un ensemble de places est assigné aux hommes et un autre ensemble aux femmes, et "qu'un de ces ensembles exerce un contrôle, voire une appropriation de l'autre, [...] en assignant un sexe à des places déterminées, comportant des rôles et des statuts également déterminés" (Préjean, 1994, p. 180).
8. Voir à ce sujet l'étude récente de Cowan et Campbell (1994) sur la représentation des hommes et des femmes blanches et noires dans la pornographie.
9. Lire à ce propos les écrits de Baker (1992), Kappeler (1992), Russell (1993) et Valverde (1989).
10. Lire à ce sujet l'étude de Bogaert et al. (1993) sur les modèles féminins retrouvés dans les pages centrales du Playboy entre 1953 et 1990.
11. Rich et Cash (1993) ont répertorié les numéros de Playboy, Vogue et Ladies Home Journal entre 1950 et 1989 afin de connaître la distribution des couleurs de cheveux des modèles. La proportion de femmes blondes est plus grande dans Playboy (années 1970á= 47,4% et années 1980 = 50,5%) que celle retrouvée dans les deux autres revues et celle d'un échantillon de femmes blanches (évaluée à 26,8%).
12. Le jugement de la Cour supérieure du 17 octobre 1994 permet maintenant aux danseuses de toucher un client sans se prostituer. Ce jugement a eu pour conséquence de passer graduellement du spectacle "érotique" sans attouchement aux "danses" à 10$ ou à 70$ (voir émission Le Point, 21 juin 1995). Le 22 juin 1995, un jugement de la Cour municipale de Montréal invalidait "l'article 77 de la Loi sur les permis d'alcool interdisant aux danseuses de se ômêlerö à leurs clients" (Legault, 1995, p. A6). Résultat, le lap dancing sera permis (attouchements sexuels pouvant inclure la pénétration de la danseuse par les doigts, le cunnilingus, la liberté de s'asseoir sur le client et l'éjaculation de celui-ci). Il ne s'agit plus ici de "spectacles érotiques", mais de prostitution.
13. La technologie informatique permettra d'ici peu à chacun de se brancher à un ordinateur, enveloppé de censeurs, et de rencontrer le partenaire de son choix dans un espace virtuel où préjugés et complexes seront exclus (Collard, 1994). Voir le deuxième numéro de la revue Future Sex pour en savoir plus.
14. Voir par exemple Dworkin et MacKinnon (1988) et Orser (1994) sur les mesures légales.
15. Programmes sociaux et économiques pour les femmes (à travail égal salaire égal, plein emploi, garderies, refuges pour femmes violentées, etc.), éducation sexuelle, droits sur la reproduction, amélioration des conditions de travail, voies de sortie pour les femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe, plaintes auprès des libraires et autres commerçants de la présence de matériel pornographique, boycotter les entreprises qui réalisent des profits avec la pornographie, sensibiliser le public en général par diverses communications dans les médias, etc. (Burstyn, 1985; Valverde, 1989).
16. Faludi (1993) utilise ce terme pour désigner l'ensemble des mesures prises par la culture de masse pour mettre fin au féminisme à partir des années quatre-vingt.




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