PoRnOGrApHiE
La dominance sexuelle rendue sexy
<<<(((xxx)))>>>
La
pornographie ou la dominance sexuelle rendue sexy...
Sylvie
Richard-Bessette*
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au texte intégral (format *.txt) iCi
La pornographie est un produit de consommation au même titre
que la voiture et la bière. Utilisée pour satisfaire
nos besoins sexuels ou en guise de hors-d'œuvre à
l'acte sexuel, la pornographie fait partie de notre quotidien.
On la retrouve sous de multiples formes allant des magazines aux
bars de danseuses nues, en passant par les vidéocassettes,
les films pour adultes, les peep-shows, les lignes érotiques
et le cybersexe. Variée et facilement accessible, la pornographie
prétend libérer la sexualité en dévoilant
tous les fantasmes et en passant outre aux tabous de notre époque.
Les
féministes ont depuis longtemps dénoncé cette
conception de la sexualité. Pour nombre d'entre elles,
la pornographie ne fait que reproduire les attitudes sexistes
et violentes de notre société à l'endroit
des femmes et des enfants. À l'instar des autres types
de violence sexuelle, elle contribue à diviser les sexes
et à entretenir une image fausse et mythique de la sexualité
et des rapports humains. Malheureusement, cette critique féministe
est encore trop souvent réduite à une opposition
véhémente contre toute forme de nudité ou
d'expression sexuelle. Cet article propose donc de poursuivre
la réflexion. Il ne s'agit pas ici de reprendre systématiquement
les différents débats et analyses féministes
ni l'ensemble des recherches sur le sujet, mais plutôt d'approfondir
certaines idées déjà énoncées
et de les développer à partir d'une grille d'analyse
béhavioriste et féministe. Les objectifs sont de
montrer comment la pornographie hétérosexuelle façonne
les systèmes de représentation de la sexualité
et les rapports sociaux de sexe, et de proposer des avenues de
recherche et d'intervention en éducation sexuelle.
^
Définition
de la pornographie...
Il
n'est pas aisé de définir la pornographie. Le concept
réfère tantôt à l'obscénité
ou à la sexualité explicite, tantôt à
l'érotisme, quand ce n'est pas carrément à
la nudité. Le Conseil consultatif canadien sur la situation
de la femme a proposé en 1988 la définition suivante
de la pornographie :
-
La pornographie signifie la représentation ou la description
de comportement violent ou dégradant ou de comportement
causant ou pouvant causer le décès d'autrui, lequel
comportement, infligé par une personne à une autre
ou par cette personne à elle-même, est représenté
ou décrit dans le but manifeste de stimuler ou de gratifier
sexuellement le spectateur, le lecteur ou l'auditeur; comportement,
en outre, qui donne l'impression d'être prôné
ou approuvé.
Une
représentation sera qualifiée de pornographique
si elle réunit les trois caractéristiques suivantes
(Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, 1988)
:
1.
elle dépeint des comportements ou des actes d'injustice
violents ou dégradants ; ET
2. elle vise manifestement à stimuler ou gratifier sexuellement
le spectateur, le lecteur ou l'auditeur ; ET
3. elle prône ou approuve ce comportement.
Il
ne s'agit donc pas de condamner les descriptions d'abus sexuels,
ni de désapprouver la sexualité, la nudité
ou l'exposition des organes génitaux, mais bien les différentes
formes de comportements violents ou dégradants présentés
dans le but de stimuler sexuellement un auditoire.
La
pornographie hétérosexuelle présente surtout
des comportements où les femmes sont abusées et
soumises à des actes dégradants. Par comportement
sexuel abusif, on entend toute conduite dénigrante, abaissante,
méprisante, nuisible, brutale, cruelle, douloureuse ou
violente comme uriner ou déféquer sur une femme,
éjaculer sur son visage, la dépeindre comme une
esclave sexuelle impatiente de répondre aux moindres désirs
de l'homme, la pénétrer de force, la réduire
à des organes génitaux ou à un être
aimant se faire appeler cochonne, salope, négresse, chienne,
putain ou bunny (Russell, 1993).
Un
acte est dégradant dans la mesure où il produit
des conséquences négatives chez l'individu. Voilà
donc en quoi réside le rôle des scientifiques: déterminer
dans quelle mesure tel ou tel comportement nuit au développement
d'un individu ou d'un groupe. La tâche n'est certes pas
facile. Les recherches actuelles ne permettent pas toujours de
préciser avec exactitude les conséquences à
long terme de la consommation de pornographie. Cette question
sera d'ailleurs abordée plus loin.
^
Analyse
du phénomène pornographique...
Il
n'existe pas de consensus sur ce qu'est la pornographie. Certains
distinguent la pornographie douce de la pornographie dure, d'autres
l'érotisme de la pornographie. Il s'avère toutefois
difficile de tracer une ligne de démarcation entre les
deux. Dangereux aussi, car la condamnation de certaines formes
de pornographie donne à penser que les autres formes sont
moralement acceptables ou non dommageables. Bien sûr, la
pornographie où des femmes sont torturées, ligotées
et même tuées est condamnable et intolérable.
Ces images ne sont toutefois que le prolongement d'un continuum
pornographique; l'aboutissement inévitable d'une certaine
idéologie qui promeut l'exploitation et la violence sexuelles.
Théorêt et Gladu (1984) utilisent le concept de pornotopie
pour montrer "l'étendue de la pornographie dans nos
systèmes de représentation, de communication et
d'éducation". Ce terme réfère non seulement
aux déterminants des rapports sexuels, mais aussi à
toutes les formes de relation de pouvoir entre les sexes.
"Pornotopie"
ne réfère pas uniquement aux manifestations extrêmes
de ce pouvoir, comme le viol, les relations sadomasochistes mais
aussi et surtout aux normes qui façonnent les rôles
sexuels par la publicité, la mode, la littérature
dite "érotique", l'éducation sexuelle
et qui déterminent quotidiennement les relations hommes-femmes.
Les
auteures précisent que :
-
La "pornotopie" nuit aux femmes parce qu'elle leur ment
sur leur sexualité en leur assurant qu'un homme, quoi qu'il
fasse, les mènera infailliblement au plaisir et que ce
plaisir sera inévitablement atteint par la pénétration.
La "pornotopie" les dépossède du contrôle
sur leur propre sexualité pour le remettre aux hommes,
lesquels deviennent dès lors responsables et de leur plaisir
et de celui de leur partenaire. Elle retire aux femmes le privilège
de déterminer la nature, le lieu et les conditions de leur
jouissance.
La
pornographie est un des véhicules du modèle sexuel
dominant (Théorêt et Gladu, 1984). Pour bien saisir
l'étendue de ce modèle, il faut examiner les divers
apprentissages qu'il favorise à chaque niveau systémique2
de l'environnement. Quelles sont les règles de contingence3
renforcées par la pornographie ? Quel est l'impact de ces
contingences4 sur nos comportements sexuels et nos rapports entre
les sexes ? Pourquoi les images pornographiques demeurent-elles
toujours aussi renforçantes pour les hommes et le sont-elles
pour certaines femmes ? La pornographie a-t-elle des effets différents
sur la sexualité et sur les rapports hommes-femmes que
d'autres agents de socialisation (famille, médias, etc.)?
Et si tel est le cas, de quelle nature sont ces différences
? Voilà quelques-unes des questions qui mériteraient
plus d'attention.
^
La
représentation sociale des sexes...
L'homme
se définit essentiellement par le trio de valeurs puissance,
pouvoir, possession, auxquelles s'ajoutent l'agressivité,
la liberté, le contrôle et l'individualité
(Préjean, 1994). En très bas âge, ce sont
ces comportements qui sont renforcés chez le garçon.
Pour appartenir à la classe des hommes et être un
"vrai", le garçon apprend très tôt
à contrôler son environnement en utilisant au besoin
la force, l'agressivité et les habiletés verbales
permettant d'entrer en compétition avec les autres. Son
corps a une fonction instrumentale (Daigneault et Dessureault,
1991). Il sert à agir, à construire, à décider,
à penser.
Le
corps de la femme est, quant à lui, défini à
partir de critères purement esthétiques. Cette définition
réduit la femme à son corps, quand ce n'est pas
à ses organes. Ce corps est devenu un objet qui sert à
plaire, à séduire, à donner vie et plaisir
aux hommes. Les jeunes filles apprennent rapidement à s'occuper
de leur corps et de leur apparence. On les renforce à demeurer
propre et sage, à sourire, à surveiller leur alimentation
pour rester mince, à se maquiller pour mettre en évidence
certains traits de leur visage ou pour cacher leurs imperfections,
à colorer leurs cheveux, à adoucir leur peau, à
s'habiller de façon à mettre en valeur leurs formes.
Parler fort, s'opposer à l'autre, être agressive,
affirmative sont au contraire des comportements habituellement
punis chez les filles, car considérés comme trop
masculins.
Plus
tard, à l'âge adulte, les femmes se serviront de
ces atouts pour obtenir l'attention et les faveurs des hommes5.
La conformité aux critères de beauté et aux
comportements féminins (passivité, docilité,
disponibilité, douceur, etc.) assurent donc aux femmes
une certaine reconnaissance des hommes et l'accès à
certains privilèges. L'apparence du corps de la femme sert
d'ailleurs souvent "de prétexte pour qualifier et
sa performance professionnelle et sa personne" (Lavergnas-Grémy,
1986, p. 49). Les journalistes, par exemple, s'attardent souvent
aux charmes de l'actrice plutôt qu'à sa performance.
De même, la popularité de plusieurs chanteuses est
souvent proportionnelle au pourcentage de peau qu'elles dévoilent.
Les revues de mode et de beauté confirment elles aussi
aux femmes qu'être féminine (sexy, mince, jeune,
belle, douce, souriante) assure le succès auprès
des hommes. L'analyse des petites annonces de rencontre constitue
d'ailleurs un bon exemple de cette tendance féminine plus
marquée à se définir à partir d'attraits
physiques (corps, beauté) comparativement aux hommes (Frigault
et al., 1994). Et, faut-il le rappeler, ce sont d'ailleurs les
femmes qui participent à des concours de maillots de bain
et de beauté.
Les
mécanismes de maintien des rapports de dominance...
Les
rapports sociaux de sexe se traduisent, comme on l'a vu, par une
opposition entre l'homme-sujet et la femme-objet. Cette opposition
est maintenue par une socialisation permettant aux hommes de s'approprier
le corps des femmes et donc de garder leur pouvoir sur elles (Bouchard,
1991). En réduisant les possibilités d'action des
femmes6, la classe des hommes7 peut maintenir sa position de dominance
ou son rang. Parmi les stratégies utilisées, on
retrouve la négation des femmes comme sujets (négation
de la capacité d'autonomie des femmes, accentuation des
différences biologiques maintenant les femmes dans des
emplois qui leur sont traditionnellement réservés,
donc peu rémunérés et peu valorisés),
l'objectivation des femmes (par le rapport au corps qui définit
la femme), l'utilisation de leur corps à des fins de consommation
et de production (pornographie, prostitution, publicité,
contrôle des naissances, etc.), et l'utilisation de la violence
physique et verbale (harcèlement sexuel, violence conjugale,
agression sexuelle, etc.) (Bouchard, 1991; Rich,1981).
^
Ces
mécanismes montrent clairement que la discrimination et
les inégalités sexuelles sont des construits sociaux
au service d'une classe (Itzin, 1992). La femme n'est pas par
nature soumise et docile ; l'homme, dominant et agressif. La dominance
sociale n'est pas une donnée de départ, mais une
construction sociale qui permet de partager les ressources entre
les individus. La différenciation dans les rôles
de dominant et de subordonné s'observe en très bas
âge chez les enfants (Gauthier et Jacques, 1985; Trudel
et Strayer, 1985). Ces comportements sont toutefois soumis à
des contingences différentes pour chaque sexe. Chacun des
sexes va apprendre à utiliser le pouvoir différemment.
Le
pouvoir, c'est bien connu, n'est pas distribué également.
À l'intérieur de la classe des hommes, certains
ont plus de ressources que d'autres. Si on compare cette classe
à celle des femmes, l'asymétrie devient alors évidente.
Cette situation s'explique par le fait que l'accès aux
ressources demeure surtout limité au groupe dominant. Les
recherches en écologie humaine ont montré comment
l'accès aux ressources à l'intérieur des
systèmes permettait à un individu de s'adapter et
de résoudre des problèmes (Bronfenbrenner, 1979;
Guay, 1987). La classe des hommes possède les ressources
personnelles (autonomie, force, agressivité, esprit de
compétition et de rivalité, etc.), sociales et économiques
(accès à des emplois plus stables, mieux rémunérés
et ayant plus de possibilités d'avancement, etc.) nécessaires
tant au maintien qu'au développement de ce pouvoir. Divers
mécanismes de contrôle (État, mariage, éducation,
etc.) ont également permis à cette classe de demeurer
dominante (Préjean, 1994).
Il
ne faut pas perdre de vue que le pouvoir est une relation et non
pas un attribut des personnes (Crozier et Friedberg, 1977). Il
se manifeste lorsque deux ou plusieurs acteurs, dépendants
les uns des autres dans l'accomplissement d'un objectif commun,
entrent en interaction (Crozier et Friedberg, 1977). Il est intimement
lié à la négociation et se présente
comme une relation d'échange où les termes sont
plus favorables à l'un des acteurs en présence.
Le rapport de pouvoir se fonde sur les atouts, les ressources
et les forces de chacune des parties en présence. En termes
béhavioristes, on pourrait définir le pouvoir comme
la capacité d'un individu à modifier les comportements
d'autrui.
Si
on applique ce raisonnement aux rapports hommes-femmes, on constate
que la classe des hommes maintient son pouvoir parce qu'elle garde
une mainmise quasi totale sur les ressources et ce, en dépit
des progrès réalisés par les femmes au cours
des dernières années. Comme on l'a vu plus haut,
les garçons et les filles sont soumis dès leur naissance
à des contingences différentes qui permettent aux
hommes de développer les compétences nécessaires
au maintien de leur position. Les femmes, quant à elles,
apprennent rapidement à s'associer aux hommes pour avoir
accès à ces ressources. Cet apprentissage se fait,
entre autres, par l'érotisation sociale des hommes plus
âgés et fortunés, présentés
comme des symboles de pouvoir. Les téléromans et
les romans Harlequin fourmillent d'hommes bien bâtis et
ayant une position sociale qui font rêver les femmes (Valverde,
1989).
La
situation de la femme a certes évolué. Il faut cependant
garder à l'esprit que ce sont surtout les femmes blanches
des milieux sociaux favorisés et des pays développés
qui ont bénéficié de ces changements. En
effet, plus les femmes sont éduquées, plus elles
acquièrent des ressources économiques, et plus elles
résistent aux mécanismes de contrôle des hommes.
Ce groupe de femmes favorisées demeure toutefois restreint.
Le marché du travail limite encore l'accès des femmes
à des postes intéressants et importants. De plus,
les obligations familiales mettent un frein au développement
personnel et social d'un grand nombre de femmes.
^
La
pornographie : mécanisme de maintien de la dominance sexuelle...
La
pornographie transpose au plan des comportements sexuels une domination
que les hommes, en tant que classe, exercent sur les femmes dans
tous les domaines de la vie (Carrier, 1983, p. 19). Prétendre
que la pornographie n'est qu'un simple divertissement pour adultes,
une innocente exposition de corps nus ou une représentation
naturelle d'actes sexuels, contribuent à banaliser le phénomène.
La pornographie fait partie, comme on l'a vu, des mécanismes
qui régularisent et contrôlent les rapports sociaux
de sexe au même titre que la famille, l'État et le
mariage (voir Préjean, 1994). Elle traduit, à travers
la nudité et les actes sexuels, un ensemble de valeurs
sexistes et racistes8 qui élèvent la soumission
des femmes au rang de vertu.
La
pornographie n'est pas la cause des agressions sexuelles, mais
plutôt une des manifestations des inégalités
sociales et sexuelles. Il s'agit d'une forme de rapport de pouvoir
où la dominance sociale est érotisée, rendue
sexy9 et inoffensive, par diverses formes d'images, d'écrits
et de représentations où la femme se pose comme
objet sexuel et l'homme comme le sujet qui dispose de cet objet.
Playboy
ne présente pas sa bunny du mois pour glorifier le corps
de la femme, comme le prétend son fondateur, Hugh Hefner.
Mais plutôt pour exciter les hommes en leur montrant ce
qu'une femme doit être pour leur faire plaisir10 et "il
ne s'agit pas d'une coincidence si la femme photographiée
est jeune, mince, de race blanche et vulnérable" (Valverde,
1989, p. 144-145). Evidemment, plusieurs diront : Qu'y a-t-il
de mal à présenter une femme nue ? C'est beau un
corps de femme. En effet, c'est beau un corps de femme, un corps
d'homme aussi, et il n'y a pas de problème à le
montrer nu. Toutefois, ce message reproduit toujours les mêmes
clichés sexistes de domination : pour être désirable,
une femme doit être sexy et inoffensive. Ce qui signifie
être jeune, mince, blonde de préférence11,
être passive, montrer son corps et écarter ses orifices
pour recevoir l'offrande mâle.
L'érotisation
de la domination sexuelle est présente non seulement dans
la pornographie mais également dans les publicités,
les magazines féminins, les films, les vidéoclips,
les romans à l'eau de rose et les téléromans
(Baby et al., 1992; Valverde, 1989). D'ailleurs, plusieurs considèrent
les romans Harlequin comme une forme romancée de pornographie
(English et al., 1981; Snitow,1989). Ainsi, pendant que les hommes
apprennent à érotiser la soumission des femmes en
dévorant leur Penthouse, les femmes intériorisent
leurs rôles en feuilletant les pages des magazines féminins
ou en rêvant au héros riche et célèbre
d'un Harlequin (Valverde, 1989).
Il
faut comparer les postures des femmes et des hommes dans les revues
pornographiques et féminines pour constater l'étendue
de la pornotopie. Dans la pornographie, on réduit la femme
à une paire de fesses, de seins et à des jambes
écartées. Le visage et le reste de son corps sont
souvent cachés. Pour vendre des produits de beauté
aux femmes, on utilise des postures similaires. La publicité
de Lancôme ("Réflexe Minceur") illustre
bien ce point de vue. Elle présente une femme de dos penchée;
on ne voit que ses fesses, ses jambes et ses avant-bras. Le reste
de son corps a disparu comme par magie (la posture est d'ailleurs
digne d'un numéro de contorsionniste). Si on enlevait la
culotte au mannequin, la photo serait sans l'ombre d'un doute
qualifiée de pornographique ou d'obscène. Par cet
exemple, on voit bien que la limite entre ce qui est déclaré
pornographique dans notre société et ce qui ne l'est
pas tient souvent à un bout de tissu qui cache ce qui est
considéré comme vulgaire ou cochon : la vue des
organes génitaux.
^
Les
annonces de shampooing, de colorant pour cheveux, de jeans qui
présentent les femmes dans une posture d'attente (assise,
les jambes entrouvertes, le chemisier détaché, la
bouche humide et ouverte, les yeux mi-clos ou le regard vague
ou encore à quatre pattes, le dos cambré) sont au
contraire considérées comme sensuelles, voire érotiques.
Il est normal, acceptable et de bon goût dans notre culture
de présenter des femmes qui jouissent en se lavant les
cheveux ou en enfilant une paire de jeans. Les créateurs
éprouvent beaucoup de difficulté à présenter
des femmes sensuelles sans qu'elles aient l'air idiotes. Les femmes
ne peuvent-elles avoir du plaisir sexuel autrement qu'en s'occupant
de l'apparence de leur corps?
Nous
sommes habitué(e)s à voir ces images où les
femmes sont toujours disponibles sexuellement et béates
d'admiration devant les muscles d'un homme. Relever ce fait amène
inévitablement des critiques ou des commentaires négatifs.
La plupart des femmes ont d'ailleurs appris à se taire
et à baisser les yeux devant ces images, ou simplement
à trouver normales ces représentations du corps
féminin. Elles ont souvent bien intégré le
discours masculin et diront qu'il s'agit d'images sensuelles qui
gratifient la femme. Elles iront même jusqu'à affirmer
que la femme n'est pas un objet sexuel, qu'elle est consciente
de ses atouts et qu'elle s'en sert. Toutefois, ces atouts sont
de courte durée. Il s'agit d'un pouvoir éphémère
et indirect qui permet d'accéder à d'autres formes
de pouvoir détenues par les hommes. Ce pouvoir n'existe
pas en soi, puisqu'en l'absence des hommes, il devient inopérant.
Certains
argumenteront que le corps des hommes est maintenant utilisé
dans les publicités au même titre que celui des femmes.
On voit, en effet, apparaître depuis quelques années
des publicités qui misent sur le corps des hommes pour
mousser la vente des produits. Il reste que ces nouvelles représentations
du corps masculin sont marginales et qu'elles reprennent les stéréotypes
masculins habituels. De plus, ces corps musclés ne sont
pas passifs et rarement présentés de façon
aussi ridicule que ne le sont les corps féminins. Ces images,
qu'on peut apercevoir dans nombre de magazines féminins,
ont probablement beaucoup plus d'impact sur les fantaisies éveillées
des femmes et sur les comportements des hommes homosexuels que
sur ceux des hétérosexuels. Ces derniers savent
très bien que leur pouvoir et leur attrait auprès
des femmes reposent davantage sur leur humour, leur richesse et
leurs connaissances que sur leur corps. En fait, dans la culture
hétérosexuelle, la beauté du corps des hommes
est vue comme un "plus", tandis que celle des femmes
est une "nécessité". Le rapport au corps
est tout à fait asymétrique. Le nombre de magazines
de beauté pour femmes se révèle, à
cet égard, fort éloquent.
La
représentation des corps dans les films dits érotiques
est aussi très éclairante. Si l'on définit
l'érotisme comme une sexualité suggestive ou du
matériel excitant non sexiste, non dégradant, non
raciste et non homophobe respectant tous les êtres vivants
(Russell, 1993), combien de films, de spectacles ou d'écrits
pourraient être qualifiés d'érotiques ?
Les
films dits érotiques reprennent, pour la plupart, les images
stéréotypées et sexistes de notre société
et présentent comme érotiques les rapports de force
et les inégalités sociales (Valverde, 1989). La
femme est montrée nue ou est légèrement vêtue
tandis que l'homme est habillé ou peu montré par
la caméra s'il est nu ; l'homme est présenté
comme ayant un rôle dominant dans l'initiation des comportements
sexuels ; au contraire, la femme qui prend l'initiative est habituellement
dépeinte comme anormale, voire même hystérique
et dangereuse (pensons à ces séries de films où
sexe et violence s'entremêlent comme Fatal Attraction, Basic
Instinct, Fatale, etc.) ; la femme est jeune, belle, mince et
blanche ; l'homme est généralement plus vieux, fortuné
ou ayant un statut social important; la femme préfère
la pénétration vaginale et atteint, on ne sait trop
par quel miracle, l'orgasme au bout de quelques secondes, l'homme
est habile et sait faire jouir sa partenaire, etc. à quelques
"je t'aime" près, ces films reprennent les mêmes
clichés. La différence tient presque essentiellement
au pourcentage de peau dénudé et au nombre de scènes
sexuelles. S'ils sont considérés comme érotiques,
c'est en raison de leur histoire, de l'absence de gros plans sur
les organes génitaux et de violence sexuelle trop explicite.
Pourtant, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ces
films montreraient plus souvent des femmes victimes de violence
sexuelle que dans les films pornographiques (Palys, 1986; Yang
et Linz, 1990).
Ces
quelques exemples tirés des médias illustrent la
forte tendance du modèle pornotopique à écrire
les rapports entre les sexes à partir d'une idéologie
centrée sur la dominance sociale des hommes. Si de nouvelles
représentations des sexes existent et tentent de s'imposer,
c'est à la suite des pressions féministes et de
certains changements sociaux. Les publicitaires se sont, en partie,
adaptés à ces pressions. Les héroïnes
de certains romans changent et s'écartent des images traditionnelles
des films pornographiques destinés aux femmes et présentant
des images différentes apparaissent aussi sur le marché
(Williams, 1989). Ces nouvelles représentations demeurent
encore assez marginales et, à y regarder de plus près,
il s'agit bien souvent des bons vieux clichés sexistes
servis dans un nouvel emballage (voir Nadeau, 1993).
^
Ce qu'on reproche à la pornographie...
On
reproche souvent à la pornographie de présenter
des comportements dénués de sentiments et des personnes
désensibilisées. Les sentiments réfèrent
à l'expression verbale ou non verbale, plus ou moins précise,
d'états internes. Les acteurs et les actrices des films
pornos expriment sans arrêt par leurs cris, leurs paroles
ou leurs actes, leurs réactions aux gestes de l'autre.
Alors de quoi parle-t-on au juste ? De l'absence de sentiments
amoureux ? Si tel est le cas, il faut rappeler que le but de la
pornographie n'est pas de présenter des gens qui s'aiment
mais qui ont du plaisir sexuel. Quel problème y a-t-il
là-dedans ? Certaines vidéos s'adressant aux femmes
présentent des scènes sexuelles dans un contexte
plus affectueux (Berger et al., 1990). Ces images ne font souvent
que reprendre les valeurs féminines traditionnelles (douceur,
amour, affection, tendresse, etc.). Les films hollywoodiens présentent
des couples qui s'aiment, et ils ne sont pas moins sexistes pour
autant (voir Valverde, 1989). Erotiser le mariage et les couples
stables ne sont sûrement pas des solutions pour redonner
du pouvoir aux femmes.
Quand
on affirme que les personnes sont désensibilisées,
qu'entend-on par là ? Que les modèles masculins
dans la pornographie violente semblent insensibles à la
douleur ressentie par les femmes ? Ne devrait-on pas plutôt
parler d'hommes prenant plaisir à voir souffrir l'autre
? Les scénarios où la femme commence par supplier
son agresseur de cesser de la malmener pour finalement lui demander
de continuer sont nombreux. L'association douleur-plaisir ou soumission-plaisir
est souvent répétée dans la pornographie.
La femme est invariablement représentée dans une
position de soumission ; l'homme, dans la position inverse. Certains
rétorquent que les activités sadomasochistes sont
différentes, mais le sont-elles réellement ? Dans
la réalité, on sait très bien qu'un homme
ligoté par une femme l'est de plein gré. Il peut
résister et se défendre sans problème. Il
aime s'imaginer dans une situation où il perd pour un temps
le contrôle, mais dans les faits, n'est-ce pas lui qui contrôle
le déroulement de la situation ? Les rapports sexuels impliquent
une certaine perte de contrôle et un abandon. Dans la pornographie
hétérosexuelle, seules les femmes semblent perdre
le contrôle et s'abandonner à l'autre.
La
pornographie homosexuelle serait au contraire "un phénomène
culturel qui ne fait pas de victime" ("Emergency Committee
of Gay Cultural Workers Against Obscenity Laws", dans Comité
spécial d'étude de la pornographie et de la prostitution,1985,
p. 88). Il existerait, en effet, du matériel pornographique
homosexuel où les rapports de domination sont absents (Poulin,1994).
Toutefois, selon Moreau (1984, dans Poulin,1994), la pornographie
homosexuelle reproduit bien souvent les stéréotypes
masculins et féminins de la pornographie hétérosexuelle.
Certes, la pornographie lesbienne, gaie et celle produite par
les femmes tentent de proposer de nouveaux modèles. Cependant,
encore trop peu de recherches ont analysé de façon
systématique le contenu et les symboles contenus dans ce
type de matériel, ainsi que les effets de sa consommation
sur les comportements. En outre, la pornographie produite par
les femmes occupe une place bien restreinte dans le marché
pornographique actuel.
On
entend souvent dire que la pornographie est répétitive
et par conséquent monotone et lassante pour de nombreux
consommateurs. D'autres soutiennent que cette répétition
renforce les comportements sexistes et de dominance, et amène
le consommateur à se tourner vers du matériel plus
violent. Malheureusement, nous connaissons peu les effets à
long terme de la consommation de pornographie. Les études
disponibles sur ce sujet portent surtout sur des agresseurs sexuels.
Les coûts élevés et les difficultés
liées aux recherches longitudinales limitent de telles
recherches aux effets d'une consommation contrôlée
en laboratoire de quelques semaines, voire de quelques mois. Mais
qu'arrive-t-il après deux ans, cinq ans, dix ans de consommation
régulière ? À partir de quand le consommateur
atteint-il la satiété ? Que fait-il lorsque les
stimuli ne provoquent plus les conséquences renforçantes
? Quelles contingences amènent certains hommes à
être davantage renforcés par les stimuli pornographiques
que d'autres? Quels facteurs expliquent la consommation régulière
plutôt que la consommation occasionnelle ? Est-ce que les
hommes ayant moins de contrôle dans la vie réelle
sur les femmes deviennent des consommateurs plus réguliers
?
La
pornographie est également reconnue pour être dégradante.
Déterminer ce qui est dégradant dans une image demeure
difficile. Qu'une femme soit à genoux devant un homme ou
que la caméra montre seulement ses organes génitaux
n'est pas en soi dégradant ou pornographique. À
la limite, ces images prises de façon isolée pourraient
même être qualifiées de sensuelles ou d'érotiques.
Après tout, il s'agit de comportements possibles lors d'une
relation sexuelle.
En
fait, les images deviennent dégradantes si elles décrivent
négativement les personnes et si ces descriptions ont des
conséquences négatives sur l'individu. La pornographie
a une forte tendance "à représenter les femmes
d'une façon morcelée ou dans des postures semi ou
non verticales et la tendance à représenter les
hommes d'une façon globale et dans des postures debout"
(Gendron, 1992, p. 158). Lemire et al. (1980) ont montré,
par l'analyse de revues pornographiques, cette tendance à
morceler le corps des femmes. La répétition de ces
postures et de ces comportements restreint les possibilités
de chaque sexe et exagère les rapports de dominance. Les
modèles féminins se soumettent avec plaisir aux
moindres demandes des hommes (même si la position est inconfortable
ou si on les blesse), elles en redemandent toujours, elles exposent
leurs parties génitales, elles crient et gémissent
comme pour rassurer l'homme sur ses performances sexuelles, etc.
Les modèles masculins sont eux aussi le reflet de notre
conception de l'homme viril : musclé, fort, puissant, capable
de faire jouir toutes les femmes, d'avoir des érections
sur commande, d'éjaculer un nombre de fois record, etc.
Les textes et les images pornographiques décrivent des
rôles bien précis pour chacun des sexes. Ces deux
extraits en témoignent.
^
[...]
Maintenant qu'on lui a retiré son bâillon, elle hurle
de plaisir. Elle sait qu'elle ne mérite pas le gros pénis
qui vient de la baiser frénétiquement. Ne vous apitoyez
donc pas sur son sort, ses larmes sont le prix de ses soubresauts
et de ses orgasmes juteux. Tout ce qu'elle a trouvé à
dire lorsque son maître lui a finalement rendu la parole
c'est "Baise-moi encore! Je ne suis rien sans ton corps uni
au mien. Mets-moi ton pénis et remplis-moi de ton jus".
De toute évidence, son maître sait ce qu'il fait!
(Club, vol. IX, no 6, 1983, p. 5, dans Comité sur les infractions
sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, 1984,
p.1334).
Lorsque j'ai souri, j'avais sur les lèvres le goût
de son rouge à lèvres fraise. Sous mes coups redoublés,
ses tétons ballottaient joyeusement. M'étant coupé
au doigt en prenant le canif à appât dans ma poche
arrière, je me mis à jurer. Les yeux de la fille
s'emplirent à nouveau d'une délicieuse terreur.
Le viol avait été agréable, mais le meilleur
était encore à venir. (Hustler, vol. IX, no 12,
1983, p. 56-57, dans Comité sur les infractions sexuelles
à l'égard des enfants et des jeunes,1984, p.1326).
L'analyse
des comportements sexuels dans les vidéos pornographiques
illustre également cette division des rôles sexuels.
La femme initie habituellement la relation par des caresses au
pénis ou par une fellation. Elle est à genoux devant
l'homme dans environ 91% des scènes de fellation, et rares
sont les séquences où la femme atteint clairement
l'orgasme (< 1%). L'éjaculation est le comportement
qui détermine habituellement la fin d'une scène,
et se fait le plus souvent à l'extérieur du vagin
de la femme (98% des scènes analysées) (Brosius
et al., 1993; Cowan et al., 1988).
Ces
comportements renforcent certaines conduites sexuelles et limitent
l'acte sexuel à un nombre restreint de comportements bien
ritualisés et axés sur la génitalité.
Sont-ils dégradants pour autant ? Dégrader renvoie
à rabaisser, ridiculiser, mutiler, déformer, perdre
ses qualités intellectuelles et morales, devenir négatif,
etc. (Le Petit Robert, 1993). La pornographie ridiculise les femmes
obèses en les présentant comme des phénomènes
de cirque et les hommes en les présentant comme des "réservoirs
à sperme". Elle rabaisse les femmes quand elle nous
les présente souriantes après un viol. Les films
snuff mutilent des corps non seulement en image mais dans la réalité.
En outre, la répétition de certaines images amènent
le développement de règles de contingence qui guident
le comportement et déforment la réalité :
"Une femme qui crie est une femme qui jouit", "une
femme qui dit non signifie qu'elle en veut plus", "les
femmes aiment se faire appeler salope pendant l'acte sexuel",
"les femmes préfèrent les hommes brusques et
froids", etc. Résultat, des hommes et des femmes se
retrouvent à faire un certain nombre de choses contre leur
gré pour plaire à l'autre. Les sexologues éducateurs
et cliniciens doivent souvent travailler ces mythes avec les jeunes
et les adultes, et répondre à de nombreuses questions
concernant la performance sexuelle.
La
pornographie se révèle un phénomène
paradoxal : à court terme, elle excite et permet une décharge
orgastique rapide ; à long terme, elle nuit à des
degrés divers (satisfaction sexuelle, perception de son
corps, difficulté à avoir une relation sexuelle
sans stimulation pornographique préalable, etc.). Le problème,
c'est que les renforcements immédiats ont plus d'effets
sur le comportement que les conséquences à long
terme, même si ces dernières sont fortement punitives.
Plusieurs hommes en viennent à préférer se
masturber devant un film porno, plutôt que d'avoir un rapport
sexuel avec leur partenaire. Certains deviendront même incapables
d'avoir une érection sans stimulation pornographique (Goulet,
1995). Cette situation crée, à plus ou moins long
terme, des tensions entre les sexes et des frustrations résultant
d'attentes fort différentes.
^
Ce qu'on peut reprocher aux recherches sur la pornographie...
La consommation de pornographie est un comportement privé
difficile à observer. Le portrait type du consommateur
canadien de pornographie serait un homme (trois hommes pour une
femme) plutôt jeune, célibataire, sans emploi, ayant
au moins huit années de scolarité (Osanka et Johann,
1989). Selon une étude canadienne en 1985, deux tiers des
Canadiens utiliseraient du matériel pour adultes (Osanka
et Johann, 1989). On ne sait toutefois pas ce qui distingue l'environnement
des consommateurs réguliers, des occasionnels et de ceux
qui ne consomment pas. Les caractéristiques de leurs systèmes
permettraient sans doute de mieux saisir les contingences qui
agissent sur le comportement.
Il
ne faut pas perdre de vue que les recherches actuelles comportent
un certain nombre de biais et de limites méthodologiques
expliquant, en partie, le nombre important de questions qui demeurent
sans réponse (voir Christensen, 1990). La plupart des études
portent sur une population de jeunes étudiants masculins
qui ont débuté depuis peu leur vie sexuelle active
ou encore sur une population d'hommes adultes ayant commis des
délits sexuels. Consommer de la pornographie à 20
ans quand la sexualité est davantage axée sur la
génitalité a sans doute des effets différents
qu'à 40, 50 ou 60 ans. Afin d'éviter de surgénéraliser
les résultats à l'ensemble de la population masculine,
il faudrait également examiner de façon plus systématique
les différences liées à la culture, au milieu
socio-économique, à la scolarité, au type
d'éducation sexuelle reçu, à l'orientation
sexuelle, et aux expériences sexuelles antérieures
des consommateurs de pornographie. Il faut aussi éviter
de conclure trop rapidement qu'un homme qui réagit sexuellement
aux représentations pornographiques adhère par le
fait même à l'idéologie qui la sous-tend (Berger
et al., 1990).
Une
autre des limites est l'utilisation quasi universelle du questionnaire
comme instrument de mesure. Peu d'observations, si ce n'est en
laboratoire, et encore moins d'entrevues sont réalisées
afin de connaître l'impact de la pornographie sur la satisfaction
sexuelle de l'individu et du couple. Les questionnaires mesurent
des intentions de comportement ou des perceptions, et non des
comportements. La méthodologie typique d'une recherche
sur l'effet de matériel pornographique consiste à
faire visionner en laboratoire des films érotiques ou pornographiques,
rarement plus de six semaines de suite, puis d'interroger les
sujets à l'aide d'échelles d'attitudes et de questionnaires.
Les sujets sont le plus souvent de jeunes étudiants en
psychologie ou en sociologie qui ne se montrent sans doute pas
toujours dupes des questions qu'on leur pose. De plus, on s'intéresse
surtout aux attitudes, aux perceptions, aux réactions sexuelles
immédiates ou aux comportements violents envers les femmes,
et peu aux effets à long terme sur la vie sexuelle, affective
et sociale de l'individu et du couple (voir Zillman et Bryant,
1988).
On
sait, par exemple, que l'exposition à des photos ou à
des vidéos pornographiques modifie négativement
la perception de son apparence physique et celle du partenaire,
la vie sexuelle et affective (Zillman et Bryant, 1988). Malgré
leur intérêt, ces données ne permettent pas
d'évaluer si cette perception affecte les comportements
envers le partenaire, ni si la pornographie est plus dommageable
que d'autres événements de la vie quotidienne (Christensen,
1990). Il s'agit encore ici de recherches sur les perceptions
des gens et non sur leurs comportements. Fréquenter quotidiennement
un collègue de bureau attirant ou côtoyer des personnes
très compétentes a peut-être un effet plus
négatif sur les comportements ou sur la satisfaction sexuelle
que de visionner une vidéo pornographique. Il faudrait
donc vérifier si la pornographie a des effets plus importants
et plus durables que d'autres stimuli de la vie quotidienne affectant
la vie sexuelle et affective (Christensen, 1990). Dire qu'on trouve
l'autre moins attirant ou moins désirable ne nous dit pas
comment le quotidien du couple est affecté, ni quel effet
a cette évaluation sur les comportements sociaux.
Certaines
études ont questionné les expériences des
femmes avec la pornographie, mais leur portée demeure,
elle aussi, encore fort limitée (Bower, 1986; Senn, 1993).
On sait, entre autres, que les femmes réagissent plus négativement
que les hommes à un contenu pornographique violent et sexiste
(Schmidt, 1975; Senn et Radtke, 1990), et que plusieurs se plaignent
d'être contraintes par leur conjoint à reproduire
des actes vus dans les vidéos (Comité canadien sur
la violence faite aux femmes, 1993).
^
Malheureusement,
nous avons trop tendance à voir les femmes et les hommes
comme deux groupes distincts et à ne pas examiner les points
communs et les divergences à l'intérieur d'un même
groupe (Senn, 1993; Vance, 1984). Les hommes et les femmes ne
forment pas des groupes homogènes. Par exemple, la recherche
de Senn (1993) a montré que la réaction des femmes
variait en fonction, entre autres, de leur opinion sur le sujet
et leurs expériences sexuelles antérieures. On sait
également qu'un certain nombre de femmes consomme de la
pornographie. Dans quel environnement vivent-elles ? Quelles contingences
agissent sur leurs comportements ? Quelles différences
y a-t-il entre les consommatrices hétérosexuelles
et lesbiennes ? Les questions sont nombreuses.
De
ces quelques critiques, il faut retenir la nécessité
d'élargir le champ de la recherche en analysant de façon
plus systématique les différents systèmes
qui composent l'environnement des consommateurs et des consommatrices
de pornographie. Il faut non seulement s'intéresser à
divers groupes d'individus, mais également développer
des outils qui permettront de mieux comprendre les mécanismes
d'apprentissage et d'identifier les contingences renforçant
les normes du modèle pornotopique. Ces études ne
doivent pas se limiter aux effets à court terme et aux
perceptions des individus, mais s'intéresser aux comportements
réels produits par la pornographie et ses dérivés.
Perspectives
d'avenir...
La
raison d'être de la pornographie n'est pas d'éduquer
les gens ou de transmettre des valeurs égalitaires, mais
bien de faire des profits. Cette industrie florissante (Poulin
et Coderre, 1986) s'adapte aux plus récents développements
technologiques. Jusqu'à tout récemment, la pornographie
n'offrait pas aux consommateurs la possibilité d'entrer
en interaction avec la playmate du mois, ni de toucher à
la danseuse nue12. Le cybersexe13 et le lap dancing permettent
maintenant aux consommateurs d'avoir un contrôle sur une
femme réelle ou virtuelle. Mieux, l'industrie pornographique
offre maintenant des CD-ROMS, des jeux sexuels interactifs sur
vidéos, des échanges de photos et de textes sur
les BBS et même le cybersexe. À la différence
des revues ou des films, le cybersexe permet de contrôler,
choisir, ressentir, décider des comportements du partenaire
virtuel, et ce sans les inconvénients du partenaire réel.
Finis les préliminaires sans fin, les rituels soporifiques
de la séduction, l'abc fastidieux de la communication.
La femme virtuelle fera maintenant ce qu'on lui demande. Son-lumière-effets
spéciaux-contrôle de la situation-absence de négociation
et adieu MTS, voilà un aperçu de ce qui attend le
consommateur de porno de demain.
^
Dans
un avenir rapproché, les peep-shows disparaîtront
au profit de commerces louant de l'espace virtuel. Cette nouvelle
technologie remplacera-t-elle les thérapies des sexologues
? Ou créera-t-elle un nouveau type de disfonction sexuelle
? Délaissera-t-on nos bons vieux amants pour les gégabytes,
les corps imparfaits pour la perfection virtuelle ? Cette nouveauté
peut apparaître alléchante aux premiers abords, mais
n'isolera-t-elle pas encore davantage les gens dans leurs fantasmes
que ne le fait le magazine porno actuel ? Ne rendra-t-elle pas
la sexualité encore plus axée sur la performance
?
Dans
ce contexte, censurer, imposer des peines sévères
aux distributeurs de matériel pornographique, développer
des lois plus strictes14 ne réglera pas le problème
de la pornographie. Le modèle pornotopique demeurera tant
et aussi longtemps que les rapports entre les sexes demeureront
ce qu'ils sont. À l'instar de Valverde (1989), nous croyons
que :
La
seule façon, à long terme, de changer le système
qui érotise et légitime la domination en la rendant
séduisante et "sexy", c'est de nous donner du
pouvoir, et ceci comprend l'autodétermination sexuelle
et l'appropriation de nos droits.
Parmi
les nombreuses pistes d'action déjà proposées
pour redonner du pouvoir aux femmes15, l'éducation sexuelle
apparaît particulièrement importante. Redonner du
pouvoir aux femmes passe par une éducation des garçons
et des filles concernant les diverses formes d'inégalités
sociales et sexuelles. Dénoncer n'est pas suffisant, il
faut proposer des options aux comportements de dominance qui seront
renforcées par les divers agents de socialisation. Nous
devons développer chez les filles des comportements d'autonomie
et d'affirmation. Ces comportements devraient en retour permettre
aux femmes de définir leurs besoins et leurs préférences
sexuelles. Les femmes doivent être renforcées à
se définir autrement que par leur apparence physique. Il
faut aussi cesser de les présenter comme des nymphomanes
psychopathes ou des madones.
Femmes
et hommes sortent perdants de la pornographie. Il s'agit donc
de favoriser un érotisme non sexiste, non raciste et non
homophobe. Évidemment, ces actions ne deviennent possibles
que dans la mesure où seront soutenues les structures sociales
qui permettront une meilleure répartition des ressources
à l'intérieur des classes et une plus grande accessibilité
à l'éducation (Vance, 1984; Valverde, 1989). La
mise sur pied de ministères pour la condition féminine
ou de campagnes de sensibilisation contre les diverses formes
d'inégalités sont nécessaires mais insuffisantes.
Ces actions servent d'ailleurs beaucoup plus à donner bonne
conscience à nos politiciens et politiciennes qu'à
redonner un pouvoir réel aux femmes. Modifier le modèle
pornotopique exige des bouleversements sociaux en profondeur.
De tels bouleversements risquent d'être difficiles avec
le retour de la droite, un grand capital de plus en plus concentré
et un backlash16 qui dure toujours. Il faudra des stratégies
politiques et économiques s'attaquant aux inégalités
sociales pour que la pornographie et ses dérivés
(publicités, vidéoclips, etc.) soient graduellement
transformés (Burstyn, 1985; Valverde, 1989). À ces
actions s'ajoute la poursuite de recherches permettant de répondre
aux questions qui ont été soulevées tout
au long de ce texte et qui mettront en lumière de façon
plus précise les effets à long terme du modèle
pornotopique sur les hommes et les femmes.
Il
ne s'agit pas d'une mince tâche. Pour rejoindre les gens,
il faut dépasser la simple conscientisation et proposer
des stimuli aussi renforçants que la pornographie, mais
qui ne reprennent pas les valeurs pornotopiques. À ce propos,
sexologues, psychologues et autres intervenants auront à
se questionner sur l'utilisation de matériel pornographique
dans le cas de dysfonctions sexuelles (Matteau, 1984) et sur leurs
types d'intervention auprès des hommes et des femmes.
Changer
les modèles sociaux et transformer les rapports de sexe
sont des processus longs mais possibles. Il ne faut pas oublier
que le pouvoir du dominant est possible tant que le dominé
accepte de rester dans la relation. Lorsqu'il menace de se retirer,
le dominant est souvent obligé de céder certaines
ressources afin d'éviter de perdre complètement
sa situation de dominant.
^
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(à
mettre en 2ème page…)
L'auteure remercie Claude Goulet pour ses nombreuses suggestions
tout au long de la rédaction de ce texte.
*
Sexologue, chargée de cours au Département de sexologie
de l'Université du Québec à Montréal,
C.P. 8888, succursale Centre-Ville, Montréal (Québec)
H3C 3P8.
2. On fait référence ici aux microsystèmes,
mésosystèmes, exosystèmes et macrosystème
tels que définis par Bronfenbrenner (1979).
3. Une règle de contingence est un comportement verbal
qui décrit une des quatre contingences possibles (renforcement
positif ou négatif, punition positive ou négative).
Elle joue le rôle de stimulus discriminatif dans la chaîne
stimulus-réponse-conséquence (Skinner, 1971).
4. "Le concept de contingence renvoie à la relation
séquentielle de dépendance entre deux événements.
[à] l'apparition contingente d'un événement
est conditionnelle à l'apparition préalable d'un
autre" (Malcuit et Pomerleau, 1986, p. 50). En d'autres mots,
un événement particulier surviendra (conséquence)
si, et seulement si, tel autre événement le précède
(réponse).
5. Fait intéressant, la socialisation des femmes a tellement
bien réussi que la plupart des femmes sont convaincues
que si elles s'occupent autant de leur apparence, c'est par choix.
6. Voir à ce sujet les écrits de Bouchard (1991),
Gagnon (1993), Guillaumin (1978) et Rich (1981).
7. Préjean (1994) explique que "le concept de classe
de sexe s'élabore selon les mêmes éléments
de définition que celui de classe sociale" (p. 180).
Nous postulons ici, comme Préjean, qu'un ensemble de places
est assigné aux hommes et un autre ensemble aux femmes,
et "qu'un de ces ensembles exerce un contrôle, voire
une appropriation de l'autre, [...] en assignant un sexe à
des places déterminées, comportant des rôles
et des statuts également déterminés"
(Préjean, 1994, p. 180).
8. Voir à ce sujet l'étude récente de Cowan
et Campbell (1994) sur la représentation des hommes et
des femmes blanches et noires dans la pornographie.
9. Lire à ce propos les écrits de Baker (1992),
Kappeler (1992), Russell (1993) et Valverde (1989).
10. Lire à ce sujet l'étude de Bogaert et al. (1993)
sur les modèles féminins retrouvés dans les
pages centrales du Playboy entre 1953 et 1990.
11. Rich et Cash (1993) ont répertorié les numéros
de Playboy, Vogue et Ladies Home Journal entre 1950 et 1989 afin
de connaître la distribution des couleurs de cheveux des
modèles. La proportion de femmes blondes est plus grande
dans Playboy (années 1970á= 47,4% et années
1980 = 50,5%) que celle retrouvée dans les deux autres
revues et celle d'un échantillon de femmes blanches (évaluée
à 26,8%).
12. Le jugement de la Cour supérieure du 17 octobre 1994
permet maintenant aux danseuses de toucher un client sans se prostituer.
Ce jugement a eu pour conséquence de passer graduellement
du spectacle "érotique" sans attouchement aux
"danses" à 10$ ou à 70$ (voir émission
Le Point, 21 juin 1995). Le 22 juin 1995, un jugement de la Cour
municipale de Montréal invalidait "l'article 77 de
la Loi sur les permis d'alcool interdisant aux danseuses de se
ômêlerö à leurs clients" (Legault,
1995, p. A6). Résultat, le lap dancing sera permis (attouchements
sexuels pouvant inclure la pénétration de la danseuse
par les doigts, le cunnilingus, la liberté de s'asseoir
sur le client et l'éjaculation de celui-ci). Il ne s'agit
plus ici de "spectacles érotiques", mais de prostitution.
13. La technologie informatique permettra d'ici peu à chacun
de se brancher à un ordinateur, enveloppé de censeurs,
et de rencontrer le partenaire de son choix dans un espace virtuel
où préjugés et complexes seront exclus (Collard,
1994). Voir le deuxième numéro de la revue Future
Sex pour en savoir plus.
14. Voir par exemple Dworkin et MacKinnon (1988) et Orser (1994)
sur les mesures légales.
15. Programmes sociaux et économiques pour les femmes (à
travail égal salaire égal, plein emploi, garderies,
refuges pour femmes violentées, etc.), éducation
sexuelle, droits sur la reproduction, amélioration des
conditions de travail, voies de sortie pour les femmes qui travaillent
dans l'industrie du sexe, plaintes auprès des libraires
et autres commerçants de la présence de matériel
pornographique, boycotter les entreprises qui réalisent
des profits avec la pornographie, sensibiliser le public en général
par diverses communications dans les médias, etc. (Burstyn,
1985; Valverde, 1989).
16. Faludi (1993) utilise ce terme pour désigner l'ensemble
des mesures prises par la culture de masse pour mettre fin au
féminisme à partir des années quatre-vingt.
^