ArCHiVeS
- Le TrAvAiL SaLaRié
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L'esclavagisme moderne
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Manifeste
des chômeurs/euses heureux/ses...
Texte collectif traduit de l'allemand - Berlin
1996
Lecture publique à trois voix, en
chaise longue et agrémentée de diapositives, donnée
pour la première fois le 14 août 1996 au " Marché
aux esclaves " du Prater (Berlin-Est) devant une assemblée
mi-enthousiaste, mi dubitative.
Texte
FéMiNiSé
par nos soins...
"Et
qu'est-ce que vous faites dans la vie ?"
Ce
qui suit est une entorse aux principes que les chômeurs
heureux et chômeuses heureuses s'étaient donné-e-s
jusqu'ici, eux et elles qui ne prennent pas volontiers les choses
par la théorie. Ils et elles lui préfèrent
de beaucoup la propagande par le fait, le méfait et surtout
le non-fait. D'ailleurs, la recherche dans le domaine du chômage
heureux n'a pas encore abouti à des résultats décisifs
et susceptibles d'être présentés ici. Mais
quelques explications sont pourtant nécessaires, car la
rumeur, qui a déjà assuré aux chômeurs
heureux et chômeuses heureuses une sorte de notoriété
secrète, n'est pas exempte de malentendus. Et ceci sur
des points d'importance, à savoir le bonheur, et aussi
le chômage.
Déjà
parce qu'il est question de bonheur, la question devient immédiatement
suspecte. Le bonheur est irresponsable. Le bonheur est bourgeois.
Le bonheur est antiallemand. Et d'ailleurs, comment peut-on se
dire heureux et heureuse, en présence de la misère,
de la violence, et des petits pains qui coûtent 67 Pfennigs
alors que ce ne sont plus que d'insipides poches gonflées
d'air ?!!
Paul
Watzlawick a déjà traité de ce genre d'arguments
dans Faites vous-même votre malheur : "Et si nous étions
absolument innocents de l'événement originel ? Si
personne ne pouvait nous reprocher d'y avoir contribué
? Il ne fait aucun doute dans ce cas que je demeure une pure et
innocente victime. Qu'on ose alors remettre en cause mon statut
de sacrifié ! Qu'on ose même me demander de remédier
à mon malheur ! Ce qui fut infligé par Dieu, les
chromosomes et les hormones, la société ; les parents,
la police, les maîtres et les médecins, les patrons
et, pire que tout, par les amis, est si injuste et cause une telle
douleur qu'insinuer seulement que je pourrais peut-être
y faire quelque chose, c'est ajouter l'insulte à l'outrage.
Sans compter que ce n'est pas une attitude scientifique, non mais
!"
Pour
nous étendre sur ce sujet, il aurait fallu nous enfoncer
dans les marécages de la psychologie, ce dont nous nous
garderons bien. Mais on peut y trouver encore d'autres arguments
contre la poursuite du bonheur. Il se dit par exemple que le totalitarisme,
c'est de vouloir faire le bonheur des gens contre leur gré.
A ce sujet, les travailleurs et travailleuses, demandeurs et demandeuses
d'emploi malheureux et malheureuses n'ont pas de souci supplémentaire
à se faire : les chômeurs heureux et chômeuses
heureuses n'ont pas l'intention de leur imposer quelque forme
de bonheur que ce soit. Il est certain que le bonheur est un argument
de vente typique pour toutes sortes de charlatans qui cherchent
à fourguer leur remède miracle. Mais les chômeurs
heureux et chômeuses heureuses n'ont pas de remède
miracle à vendre. Sur le plan programmatique, nous voyons
la chose telle que Lautréamont l'avait formulée
pour lui-même en 1869 : "Jusqu'à présent,
l'on a décrit le malheur pour inspirer la terreur et la
pitié, je décrirai le bonheur pour inspirer leurs
contraires."
Et
maintenant, venons-en au fait.

^
Le
chômage : pas un problème, peut-être une solution
!!!
Nous savons tous et toutes que le chômage ne sera jamais
supprimé. La boîte va mal ? on licencie. La boîte
va bien ? on investit dans des machines, et on licencie. Jadis,
il fallait des travailleurs et travailleuses parce qu'il y avait
du travail ; aujourd'hui il faut du travail parce qu'il y a travailleurs
et des travailleuses, et nul ne sait qu'en faire, parce que les
machines travaillent plus vite, mieux et pour moins cher. L'automatisation
avait toujours été un vieux rêve de l'humanité.
Le chômeur heureux Aristote, il y a 2300 ans :
-"Si chaque outil pouvait exécuter de lui même
sa fonction propre, si par exemple les navettes de tisserands
tissaient d'elles-mêmes, le chef d'atelier n'aurait plus
besoin d'aides, ne le maître d'esclaves." Aujourd'hui
le rêve s'est réalisé, mais en cauchemar pour
toutes et tous, parce que les relations sociales n'ont pas évolué
aussi vite que la technique. Et ce processus est irréversible
: jamais plus des travailleuses et des travailleurs ne viendront
remplacer les robots et les automates. De plus, là où
du travail "humain" est encore indispensable, on le
délocalise vers les pays aux bas salaires, ou on importe
des immigré-e-s sous-payé-e-s pour le faire, dans
une spirale descendante que seul le rétablissement de l'esclavage
pourrait arrêter...
Tout le monde sait cela mais personne ne peut le dire ! Officiellement,
c'est toujours "la lutte contre le chômage", en
fait contre les chômeurs et chômeuses. On trafique
les statistiques, on "occupe" les chômeurs et
chômeuses au sens militaire du mot, on multiplie les contrôles
tracassiers. Et comme malgré tout de telles mesures ne
peuvent suffire, on rajoute une louche de morale en affirmant
que les chômeuses et les chômeurs seraient responsables
de leur sort, en exigeant des preuves de "recherche active
d'un emploi". Le tout pour forcer la réalité
à entrer dans le moule de de la propagande. Le chômeur
heureux et la chômeuse heureuse ne font que dire tout haut
ce que tout le monde sait déjà !!!
"Chômage" n'est pas le bon mot, une idée
négative, le revers de la médaille du travail. Un
chômeur ou une chômeuse n'est qu'un travailleur ou
une travailleuse sans travail. Ce qui ne dit rien de la personne
comme poète-sse, comme flâneur ou flâneuse,
comme chercheuse ou chercheur, comme respiratrice/teur. En public,
on n'a le droit de parler que du manque de travail. Ce n'est qu'en
privé, à l'abri des journalistes, sociologues,...
que l'on se permet de dire ce qu'on a sur le coeur : "Je
viens de d'être licencié-e, super !" - "Enfin
je vais pouvoir faire la fête tous les soirs, bouffer autre
chose que des sandwichs, câliner sans limites."
Faut-il abolir cette séparation entre vertus privées
et vices publics ? On nous dit que ce n'est pas le moment, que
ça tournerait à la provocation, que ça serait
le jeu des beaufs. Il y a encore vingt ans, les travailleurs et
travailleuses pouvaient remettre leur travail, et le travail en
question. Aulourd'hui ils et elles doivents se dire heureux et
heureuses pour la seule raison qu'ils et elles ne sont pas au
chômage, et les chômeurs et chômeuses doivent
se dire malheureux et malheureuses pour la seule raison qu'ils
et elles n'ont pas de travail. Le chômeur heureux et la
chômeuse heureuse se rient d'un tel chantage.
^
Lorsque l'éthique du travail s'est perdue, la peur du chômage
reste le meilleur fouet pour augmenter la servilité. Un
certain Schmilinsky, conseiller d'entreprises pour l'élimination
des tireurs et tireuses au flanc le dit on ne peut plus clairement
: "Dans une écurie, vous décidez aussi qu'un
cheval doit avoir une récompense et lequel ne reçoit
rien. Les entreprises qui veulent survivre aujourd'hui doivent
être par moments impitoyables. Trop de bonté peut
leur casser les reins. Je conseille à mes client-e-s d'agir
avec une poigne de fer dans un gant de velours. A notre époque,
les travailleurs regardent autour d'eux et voient partout des
postes de travail supprimés. Nul n'a vraiment envie de
se faire remarquer par un comportement désagréable.
Les entreprises tendent à utiliser toujours plus ce sentiment
d'insécurité, afin de réduire notablement
les heures de travail perdues." (Der Spiegel - 03/02/1996)
La création d'un biotope propice aux chômeurs heureux
et aux chômeuses heureuses pourrait également améliorer
la condition des travailleuses et travailleurs : leur peur de
se retrouver au chômage diminuerait en même temps
que le courage de dire non pourrait plus librement s'exprimer.
Un jour, peut-être, le rapport de forces serait à
nouveau retourné au profit des salariès et salarières
: "Quoi? Vous prétendez contrôler si je suis
vraiment malade ou non? Si c'est comme ça, je préfère
encore être chômeur/euse heureux/se !"
Le travail est une question de survie. On ne peut qu'être
d'accord avec cet avis. Voici ce qu'en écrit des USA Bob
Black : "Le travail est un meurtre en série, un génocide.
Le travail tuera, directement ou indirectement, tous ceux et toutes
celles qui lisent ces lignes. Dans ce pays, le travail fait chaque
année entre 14 000 et 25 000 mort-e-s, plus de deux millions
d'handicapé-e-s, 20 à 25 millions de blessé-e-s.
Et encore, ce chiffre ne prend pas en compte le demi million de
maladies professionnelles. Il ne gratte que la superficie. Ce
que les statistiques ne montrent pas, ce sont toutes les personnes
dont la durée de vie est raccourcie par le travail. C'est
bien ce qui s'appelle du meurtre ! Pensez à tou-te-s ces
toubibs qui meurent à 50 ans, pensez à tou-te-s
les alcooliques du travail (workaholics) ! Et même si vous
ne mourrez pas pendant votre travail vous pouvez mourir en vous
rendant au travail, ou en en revenant, ou en en cherchant, ou
en cherchant à ne pas/plus y penser. Naturellement, il
ne faut pas oublier de compter les victimes de la pollution, de
l'alcoolisme et de la consommation de drogues - légales
ou non - liées au travail. Là, on atteint un nombre
de victimes multiplié par 6, seulemnt pour pouvoir vendre
des big macs et des cadillacs aux survivant-e-s !"
Le bottier, la bottière ou l'ébéniste étaient
fier-e-s de leur art. Et naguère encore, les travailleurs
et travailleuses des chantiers navals écrasaient une larme
au coin de l'oeil en voyant partir au loin le navire qu'ils et
elles avaient construit. Mais ce sentiment d'être utile
à la communauté a disparu de 95% des jobs. Le secteur
des "services" n'emploie que des domestiques et des
appendices d'ordinateurs qui n'ont aucune raison d'être
fier-e-s. Du/de la vigile au technicien-e des systèmes
d'alarme, une foule de chiens de garde ne sont payé-e-s
que pour surveiller que l'on paye ce qui sans eux et elles pourrait
être gratuit. Et même un ou une médecin n'est
plus en vérité qu'un-e simple
représentant-e du commerce des trusts pharmaceutiques.
Qui peut encore se dire utile aux autres? La question n'est plus
: à quoi ça sert, mais : combien ça rapporte.
Le seul but de chaque travail particulier est d'augmenter les
bénéfices de l'entreprise, et de même le seul
rapport du travailleur et de la travailleuse à son travail
est son salaire.
^
L'argent est le problème...
C'est justement parce que l'argent, et non l'utilité sociale,
est le but que le chômage existe. Le plein emploi c'est
la crise économique,le chômage c'est la santé
du marché. Que se passe-t-il dès qu'une entreprise
annonce une charette de licenciements? Les actionnaires sautent
de joie, les spéculateurs et spéculatrices la félicitent
pour sa stratégie d'assainissement, les actions grimpent,
et le prochain bilan témoigne des bénéfices
ainsi engrangés. De la sorte, on peut dire que les chômeurs
et chômeuses créent plus de profit que leurs ex-collègues.
Il serait donc logique de les récompenser pour leur contribution
sans égal à la croissance. Au lieu de cela, ils
n'en touchent pas un rogaton. Le chômeur heureux et la chômeuse
heureuse veulent être
rétribué-e-s pour leur non-travail.
Si le chômeur et la chômeuse sont malheureux et malheureuse
ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de travail, mais parce qu'il
n'ont pas d'argent. Ne disons plus demandeur et demandeuse d'emploi
mais : "demandeur et demandeuse d'argent", plus "recherche
active de travail" mais : "recherche active d'argent".
Les choses seront plus claires. Comme nous allons le voir le chômeur
heureux et la chômeuse heureuse cherchent à combler
ce manque par la recherche de ressources obscures.
Comptez au total combien d'argent les contribuables et les entreprises
consacrent officiellement "au chômage" et divisez
par le nombre de chômeurs et chômeuses : Ca fait sacrément
plus que nos chèques de fin de mois ! Cet argent n'est
pas principalement investit dans le bien être des chômeurs
et chômeuses mais dans leur contrôle incessants au
moyen de convocations sans objet, de soi-disant stages de formation-insertion-perfectionnement
qui viennent d'on ne sait où et ne mènent nulle
part, de pseudo-travaux pour de pseudo-salaires, simplement afin
de baisser artificiellement le taux de chômage. Simplement
pour maintenir l'apparence d'une chimère économique.
Notre première proposition est simple et immédiatement
applicable : suppression de toutes les mesures de contrôle
contre les chômeurs et chômeuses, fermeture de toutes
les agences et officines de flicage, arrêt des manipulations
statistique et propagande, et versement automatique et inconditionnel
des allocations augmentées des sommes ainsi épargnées.
^
Le nouveau délire conservateur reproche aux chômeurs
et chômeuses de se complaire dans l'assistance, de vivre
aux crochets de l'état et patati et patata. Cependant,
pour autant que nous sachions, l'état existe toujours et
encaisse les impôts, c'est pourquoi nous ne voyons pas en
quel honneur nous devrions renoncer à son soutien financier
! Mais nous ne sommes pas polarisé-e-s sur l'état.
Nous ne verrions aucun inconvénient à un financement
venant du secteur privé - responsable direct et actif du
chômage - que ce soit sous la forme de sponsoring, d'adoption,
d'une taxe sur les revenus du capital, ou du racket. Nous ne sommes
pas regardant-e-s !!!
Si le chômeur et la chômeuse sont malheureux et malheureuse
c'est aussi parce que le travail est la seule valeur sociale qu'ile
et elles connaissent. Ils et elles n'ont plus rien à faire,
s'ennuient, ne connaissent plus personne parce que le travail
est souvent le seul lien social disponible. La chose vaut aussi
pour les retraité-e-s.
Il est bien clair que la cause d'une telle misère existentielle
est à chercher dans le travail et non dans le chômage
en lui-même. Même lorsqu'il et elle ne font rien de
spécial le chômeur heureux et la chômeuse heureuse
créent de nouvelles valeurs sociales. Il et elle développent
des contacts avec tout un tas de personnes sympathiques. Il et
elle sont même prêt-e-s à animer des stages
de resocialisation pour travailleurs et travailleuses ayant perdu
leur emploi.
Car tous les chômeurs et toutes les chômeuses disposent
en tout cas d'une chose inestimable : du temps libre. Voilà
qui pourrait constituer une chance historique, la possibilité
de mener une vie pleine de sens, de joie et de raison. On peut
définir notre but comme une reconquète du temps.
Nous sommes donc tout sauf inactifs et inactives, alors que la
soi-disant "population active" ne peut qu'obéir
passivement au destin et aux ordres de supérieurs hiérarchiques.
Et c'est bien parce que nous sommes actifs que nous n'avons pas
le temps de travailler.
^
Le cimetière de la morale...
On nous a aussi rétorqué que le chômeur heureux
et la chômeuse heureuse ne sont sans travail qu'au sens
actuel du mot "travail" , c'est-à-dire "travail
salarié". Il nous faut ici expressément indiquer
que si le chômeur heureux et la chômeuse heureuse
ne cherchent pas de travail salarié, ils ne cherchent pas
non plus de travail d'esclave... Et pour autant que l'on sache
il n'existe que deux sortes de travail : le salariat et l'esclavagisme
- ce qui revient à peu près au même. Certes,
il existe aussi les étudiants et étudiantes, des
artistes et autres fanfarons qui ne peuvent écrire le moindre
papier ou laper la moindre écuelle sans prétendre
se livrer là à un important "travail".
Même les soi-
disant-e "autonomes" ne peuvent organiser de "séminaires"
anticapitalistes sans mener des "débats productifs"
au sein de "groupes de travail" ; misérables
mots, misérables pensées.
Cela ne date pas d'aujourd'hui que le mot travail est empreint
de malheur. "Arbeit" - en allemand - est formé
sur un verbe germanique disparu qui avait pour sens "être
orphelin, être un enfant utilisé pour des tâches
corporelles rudes", verbe lui-même issu de l'Indo européen
"Orbhos", orphelin. Jusqu'au haut-allemand moderne,
"Arbeit" signifiant "peine, tourment, activité
indigne". Dans les langues romanes, la chose est encore plus
claire puisque "travail"; "trabajo", etc...,
vient du latin "tripalium", un instrument de torture
à trois piques qui était utilisé contre les
esclaves. C'est Luther qui le premier a promu le mot "Arbeit"
comme valeur spirituelle, prédestination de l'homme dans
le monde. Citation : "L'homme est né pour travailler
comme l'oiseau est né pour voler." On pourrait nous
répondre que cette querelle de mots est sans importance.
Mais le fait de confondre "boisson" avec "coca
cola", "culture" avec "Bernad-Henry Levy",
ou "activité" avec "travail" ne saurait
rester sans conséquences graves !!!
Dès qu'il est question de travail ou de chômage,
on a affaire à des catégories morales. Et la tendance
va en s'accentuant, il suffit d'ouvrir un journal pour s'en rendre
compte : "Une conception du monde l'a emporté sur
une autre" déclare un expert de Washington. "Au
lieu de considérer que la pauvreté a des causes
économiques, la nouvelle école de pensée
qui domine à présent voit dans la pauvreté
le résultat d'un comportement moral mauvais." Comme
du temps ou les curés voyaient leur monopole sur les âmes
en danger, la morale est ici une tentative de combler la fissure
grandissante entre la réalité et son image idéologique.
Qui dit au chômeur et à la chômeuse : "vous
avez péché" attend de celui/celle-ci ou bien
qu'il/elle fasse pénitence, ou bien qu'il/elle justifie
de sa vertue. Dans les deux cas il/elle aura reconnu l'existence
du péché. Les tentatives pleurnichardes de certain-e-s
chômeurs/chômeuses pour provoquer la pitié
de ce monde ne peuvent aboutir, au mieux, qu'à provoquer
la pitié. Ce n'est que le rire qui peut désarmer
la morale pour de bon !!!
^
Il est clair que Paul Lafargue, l'auteur du Droit à
la paresse, est un des inspirateurs historique des chômeur
heureux et la chômeuse heureuse : "Les économistes
s'en vont répéter aux ouvriers et ouvrières
: travaillez pour augmenter la richesse nationale ! Et cependant
un économiste, Destutt de Tracy, répond : les nations
pauvres, c'est là où le peuple est à son
aise ; les nations riches, c'est là où il est ordinairement
pauvre. Mais assourdis et idiotisés par leurs propres hurlements
les, les économistes de répondre : Travaillez, travaillez
toujours pour créer votre bien être ! [...] Travaillez
pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de
travailler et d'être misérables." Pourtant nous
ne faisons pas nôtre la revendication d'un droit à
la paresse. La paresse n'est que le contraire de l'assiduité.
Là où le travail n'est pas reconnu, la paresse ne
peut pas l'être non plus. Pas de vice sans vertu (et vice
cersa). Depuis l'époque de Lafargue, il est devenu clair
que le soi-disant "temps libre" accordé aux travailleurs
et travailleuses est la plupart du temps plus ennuyeux encore
que le travail lui-même. Qui voudrait vivre de télé,
de jeux interpassifs et de Club Merd ? La question n'est pas simplement,
comme pouvait encore le croire Lafargue, de réduire le
temps de travail pour augmenter "le temps libre" ; ceci
dit, nous nous solidarisons totalement avec ces travailleurs et
travailleuses espagnol-e-s à qui l'on avait voulu interdire
la sieste sous prétexte d'adaptation au marché européen,
et qui avaient répondu qu'au contraire , c'était
à l'Union Européenne d'adopter "L'Euro-sieste".
Que ceci soit clair : le chômeur heureux et la chômeuse
heureuse ne soutiennent pas les partisan-e-s du partage du temps
de travail, pour lesquel-le-s tout serait pour le mieux si chacun-e
travaillait, mais 5, 3, où même 2 heures par jour.
Qu'est ce que c'est que ce saucissonage ?!! Est-ce que je regarde
le temps que je mets pour préparer un repas à mes
ami-e-s ? Est-ce que je limite le temps que je passe à
écrire ce texte ? Est-ce que l'on compte quand on aime
?
Mais le chômage heureux ne représente pas pour autant
une nouvelle utopie. Utopie veut dire : "lieu qui n'existe
pas" ; l'utopie dresse au millimètre les plans d'une
construction supposée idéale, et attend que le monde
vienne se couler dans ce moule. Le chômeur heureux et la
chômeuse heureuse seraient plutôt des "topistes"
qui bricolent et expérimentent à partir de lieux
et d'objets qui sont à portée de main. Il et elle
ne construisent pas de système, mais cherchent toutes les
occasions et possibilités d'aménagement de leur
environnement. Un honorable correspondant nous écrit :
"S'agit-il pour le chômeur heureux et la chômeuse
heureuse de gagner une reconnaissance sociale avec le financement
sans condition qui va avec, ou bien est-il question de subvertir
le système au moyen d'actions illégales, comme ne
pas payer l'électricité ? Le lien entre ces deux
stratégies ne paraît pas vraiment logique. Je peux
difficilement chercher à être accepté socialement
et en même temps prôner l'illégalité."
Bon. Le chômeur heureux et la chômeuse heureuse ne
sont pas des fanatiques de l'illégalité. Dans leurs
efforts pour faire le bien, il et elle sont même prêt-e-s,
s'il le faut, à recourir à des moyens légaux.
D'ailleurs, les crimes de jadis sont les droits d'aujourd'hui
(que l'on pense au droit de grève), et peuvent redevenir
des crimes. Mais surtout : nous cherchons la reconnaissance sociale.
Nous ne nous adressons pas à l'état ni aux organismes
officiels, mais à monsieur et madame tout le monde.
Nous entendons ici le choeur des théoricien-ne-s de la
lutte des classes :"Ceci n'est qu'une soupape pour le système,
par laquelle des sédiments prolétariens sans travail
sont maintenus dans une niche illusoire afin d'utiliser les fonctions
vitales qui leur restent pour atténuer les contradictions
du capitalisme. Le chômeur heureux et la chômeuse
heureuse s'amusent, et pendant ce temps la bourgeoisie extrait
la plus-value sans rencontrer de résistance. Trahison !
Trahison !" Chaque cas concret, et même le simple fait
de respirer, peut être dénigré comme tentative
d'adaptation à ce monde - et c'est bien la possibilité
de respirer dont il est question ici. La critique sociale la plus
acerbe ne peut être d'un grand secours, tant que sa conclusion
pratique se limit à un "wait and see" (attendre
et voir). Nous savons bien que notre tentative peut échouer
de diverses façons. Cela peut tourner, par exemple, à
la gaudriole, une plaisanterie sans conséquences. L'idée
de départ peut aussi se trouver ensevelie sous des tonnes
de sérieux bétonné. Il pourrait aussi arriver
qu'un groupe de chômeurs heureux et la chômeuses heureuses
rencontrent tant de succès qu'ils et elles se trouveraient
transformé-e-s en bussinessmen heureux et bussinesswomen
heureuses, sans plus de lien avec leur milieu d'origine. Ce sont
des risques, ce n'est pas une fatalité. Nous nous chargeons
d'un coup d'envoi, il ne dépend pas de nous que la balle
arrive au but !!!
^
De l'avantage d'être exclu-e...
Il existe en ce moment divers mouvements et initiatives contre
les mesures d'austérité, contre le chômage,
contre le néo-libéralisme, etc... Mais la question
est aussi : pour quoi doit-on se prononcer ? En tout cas, pas
pour l'état Providence et le plein-emploi de naguère,
qui ont de toute façon autant de chance d'être réintroduits
que la locomotove à vapeur. Mais ce qui nous pend au nez
pourrait être bien pire encore. Il n'est pas inimaginable
que soit concédé aux chômeurs et chômeuses
la possibilité de cultiver leurs légumes et d'improviser
leurs relations sociales sur les terrains vagues et dépotoires
de la post-modernité, surveillé-e-s à distance
par la police électronique et livré-e-s à
quelque mafia, pendant que la minorité aisée pourrait
continuer sans ennuis. Les chômeurs heureux et la chômeuse
heureuses cherchent un passage pour sortir de cette alternative
de la terreur. C'est une question de principe.
Un autre mot galvaudé par la propagande est le mot "exclusion".
Les chômeurs et chômeuses seraient exclu-e-s de la
société, et les bonnes âmes plaident pour
leur réintégration. Exclu-e-s de quoi exactement
? Un humaniste de l'Unesco en donna la réponse sans équivoque
au "sommet social" de Copenhague : "Le premier
pas de l'intégration sociale consiste à se faire
exploiter." Merci pour l'invitation ! Il y a trois siècles,
les croquants et croquantes levaient les yeux avec envie vers
le château du seigneur ; c'est avec raison qu'ils et elles
se sentaient exclu-e-s de ses
richesses, ses nobles loisirs, ses artistes de cour et courtisanes.
Mais qui aujourd'hui voudrait vivre comme un-e cadre sup' stressé-e,
qui aurait envie de se bourrer le crâne de ces rangées
de chiffres abstraits, de travailler 108 heures par semaine, de
s'étrangler avec une cravatte Lucky Luke de chez Dior,
de crever de son infarctus ? C'est de bon coeur que nous nous
excluons de cette oppression dominante, c'est une autre forme
d'intégration que nous recherchons. Dans les pays pauvres,
des millions de gens vivent en marge des circuits de l'économie
de marché. Chaque jour les journaux rapportent la misère
dudit "tiers-monde", une série déprimante
de guerres, famines, dictatures et épidémies. Il
ne faut pas perdre de vue pour autant que, conjoitement à
cette misère - qui est essentiellement importée
- existe une autre réalité : une vie sociale intense
en comparaison de laquelle les société riches ont
l'air moribondes. Dans ces pays, le travail de "l'homme blanc"
est méprisé "parce qu'il ne finit jamais",
à la différence, par exemple, de ces artisans somaliens
qui claquent les bénéfices de leur activité
d'un coup, dans une grande fête annuelle. C'est une formule
connue : l'aptitude des gens à la fête est inversement
proportionnelle au Produit National Brut par tête. "L'informel
fait déjà la preuve que la solidarité est
une forme de la richesse authentique. Mettre sa pauvreté
en commun dans l'espoir d'obtenir l'abondance n'est pas irréaliste
[...] Les pauvres sont beaucoup plus riches qu'on ne le dit, et
qu'ils et elles ne le croient eux et
elles-mêmes. L'incroyable joie de vivre qui frappe beaucoup
d'observateurs et d'observatrices des banlieues africaines trompe
moins que les déprimantes évaluations objectives
des appareils statistiques, qui ne cernent que la part occidentalisée
de la richesse et de la pauvreté." (S.Latouche. La
planète des naufragés)
^
Il
y a bien sûr le danger, pour un européen et une européenne,
de verser dans un exotisme facile. Toutefois, il suffit d'écouter
ce que disent des immigré-e-s eux et elles-mêmes
de la question, eux et elles qui connaissent d'expérience
les deux mondes, pour se convaincre de l'avantage qu'a le Sud
pauvre en matière de liens sociaux. Citons encore l'Egyptien
Albert Cossery : "Il avait l'air en ce moment de porter tous
les chagrins de la terre. Mais ce n'était qu'un état
qu'il s'imposait de temps en temps pour croire à sa dignité.
Car El Kordi croyait que la dignité était seulement
l'apanage du malheur et du désespoir. C'était ses
lectures occidentales qui lui avaient ainsi troublé l'esprit."
(Mendiants et orgueilleux)
Les
chômeurs heureux et la chômeuse heureuses ont beaucoup
à apprendre et à désapprendre de l'Afrique
et des autres cultures non-occidentales. Il ne s'agit évidemment
pas de singer ces pratiques ancestrales, comme les hippies de
jadis, mais bien, sans vouloir copier l'original, d'y trouver
une source d'inspiration rafraîchissante, un peu à
la manière dont Picasso et les dadaïstes s'étaient
inspirés en leur temps de l'Art dit "nègre".
Nous ne mentionneront ici qu'un exemple. Il y a quelques années,
des sociologues s'étaient penchés sur la manière
de vivre des habitant-e-s du Grand Yoff, une des banlieues les
plus déshéritées de Dakar. Ils et elles établirent
que les revenus d'une famille moyenne de douze personnes étaient
sept fois supérieurs à leurs ressources officielles.
Non que ces gens aient trouvé la formule miracle pour multiplier
les billets de banque, mais ils et elles savent augmenter l'effectivité
des finances précaires, en organisant la circulation intensive.
Il est impossible de vivre en Afrique sans appartenir à
une ethnie, un clan, une famille élargie, un cercle d'ami-e-s.
A l'intérieur de chacun de ces réseaux, l'argent
circule méthodiquement par un système précis,
élaboré et impératif de cadeaux, dons, emprunts-remboursements,
placements, droits à diverses tontines. Le fait que ces
possiblités de tirage soient accumulées au sein
de chaque famille permet à celle-ci d'avoir à tout
moment accès à une somme d'argent sans commune mesure
avec ses ressources officielles. Encore ces flux monétaires
ne sont-ils qu'un aspect de "l'économie de la réciprocité",
laquelle consiste aussi en échange de services de réparation,
entretien et installation, fabrication de chaussures et vêtements,
préparation collective de repas, travail des métaux
et d'ébénisterie, services de santé et d'éducation,
sans oublier l'organisation de fêtes qui maintiennent la
cohésion du groupe, toutes choses dans lesquelles l'argent
ne joue aucun rôle. C'est la raison pour laquelle il est
impossible de mesurer le "niveau de vie" de ces populations
avec les critères et instruments de l'occident. Imaginons
un instant que ce système soit transposable ici : un-e
RMIste disposerait alors de 11 000 francs par mois, ce qui certes
ne résoudrait pas tous les problèmes, mais mettrait
du beurre dans les épinards ! Sans compter toutes les choses
dont il/elle profiterait, que l'argent ne peut acheter. La question
classique, combien d'argent me faudrait-il pour bien vivre, est
mal posée. Qui vit complètement isolé-e,
en état d'apesanteur sociale, n'aura jamais assez de fric
pour combler sa misère existentielle. Les RMIstes ici ont
bien sûr ce gros handicap, qu'ils et elles ne peuvent s'appuyer
sur aucun clan, aucune coutume qui serait déjà là.
Il nous faut repartir de zéro. Mais nous avons tout de
même cet avantage, que nos conditions de vie ne sont pas
(encore) si dramatiques et rudes qu'en Afrique. Pour les chômeurs
heureux et chômeuses heureuses s'ouvre ici un vaste champ
expérimental, ce que nous nommons : la recherche de ressources
obscures. Comme vous l'aurez maintenant peut-être compris,
notre loisir est ambitieux, théorique et pratique, sérieux
et ludique, local et international, (rien qu'en Europe, il y a
déjà plus de 20 millions de chômeurs heureux
et chômeuses heureuses virtuel-le-s !).
Un jour, vous pourrez dire avec fierté : j'étais
là dès le début.
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